Le conte de Moitié d'Jau

Qui était Moitié d'Jau ?...Un coq, un beau gros coq, mais que la nature (c'est vite dit) avait doté d'une unique patte...

Oh ! Pas n'importe quelle patte : une patte ferme, résistante, musclée, mais une seule patte quand même !

Pourquoi cette infirmité ?...personne ne sait exactement. Certains disent qu'il est né d'un tout petit œuf tout mal fichu ; d'autres prétendent même que cet œuf ayant été coupé en deux, le mari en mangea une moitié et sa femme n'eut qu'un demi-œuf à faire couver...d'où le résultat que vous connaissez. Mais sa propriétaire, la Tante Marie qui habitait alors à La Chasserie est certaine qu'il a perdu sa deuxième patte en défendant la basse-cour contre Renard...et Tante Marie a une très bonne mémoire !

Toujours est-il qu'on avait décidé que Moitié d'Jau ne finirait pas « Coq au vin » et qu'il mourrait de sa belle mort.

Il dirigeait donc la volaille de La Chasserie de main (pardon, de patte) de maître, allant fièrement du tas de fumier à la cour et de la cour au jardin... lorsque Fifine avait oublié de fermer la barrière !

Un matin, Tante Marie s'adressa à son coq :

« Avec la Fifine, on va acheter des commissions chez la Denise. Tu garderas la maison pendant notre absence...surtout, ne laisse entrer personne !

-Partez tranquilles, se rengorgea notre coq (les coqs sont tous orgueilleux et se rengorgent). Et Moitié d'Jau, gonflé de suffisance, rassembla ses poules, leur fit part de l'importante mission qu'on lui avait confiée...et se rendit au jardin. Pour une fois, il se sentit obligé de travailler, ou plutôt de faire semblant. Il se mit donc à gratter (Papy se demandait toujours comment il pouvait gratter d'une seule patte.)...Soudain...qu'est ce donc ?... un caillou jaune... deux cailloux...une sacoche pleine de cailloux dorés ! C'est une bourse, une bourse remplie de pièces d'or ! Qu'auriez-vous fait à sa place ?... vous taire bien sûr. Mais un coq, ça ne peut pas s'empêcher de cocoricoter ! Et voilà notre écervelé juché sur le mur : « J'ai trouvé une Bourse de cent écus...Cocorico : j'ai trouvé une Bourse de cent écus !

-Que dis-tu Moitié d'Jau ?

-Tiens ; c'est la vieille Armandine qui revient d'Ainay le Château...Je dis que j'ai déterré une Bourse de cent écus dans le jardin.

-Montre-la moi...Mais c'est la mienne que j'ai perdue, l'autre jour en passant...Heureusement que tu étais là ...rends-la moi s'il te plaît » (comme elle est polie !)

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Et notre coq, encore plus fier, de s'exécuter...et l'Armandine de filer avec la bourse si facilement gagnée.

Quelque temps après, Tante Marie et Fifine reviennent, chargées des provisions de la semaine :

« Alors Moitié d'Jau, tu n'as laissé rentrer personne ?

-Non...non, mais j'ai rendu un fier service à l'Armandine.

-Un service ?

-Figurez-vous que moi, Moitié d'Jau, j'ai retrouvé, dans le jardin, la Bourse de cent écus qu'elle avait égarée.

-Et tu la lui as donnée ?

-Bien sûr ; et elle est partie en courant, tellement elle était heureuse !

-Et tu l'as crue, mon nigaud...Bon !...tu sais où elle habite...Débrouille-toi pour récupérer la bourse et les écus...sinon...

-Sinon ?

-Sinon, tu deviendras Coq au vin au repas de Pâques ou bien Poulet rôti pour la Fête à la Violette. »

Il était bien penaud, le fier Gardien de la basse-cour...C'est que l'Armandine passait pour une femme peu commode, et puis, elle vivait bien au-delà de la Forêt de Tronçais où il ne faisait pas bon s'aventurer à cette époque ! Le voilà donc parti en direction d'Urçay, sautillant sur son unique patte...Arrivé à La Verrerie, en lisière du bois, notre insouciant volatile ne pensait déjà plus à sa terrible mission.

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« Bonjour, Moitié d'Jau...où cours-tu si vite ?

-Ah, bonjour Renard...C'est que je dois retrouver la Bourse de cent écus que m'a dérobée cette maudite Armandine.

-Rude besogne, en effet...Je vais t'accompagner !

-Tu n'y penses pas...jamais tu ne pourras trotter aussi vite que moi !

-Tu crois ça...Suis-moi si tu peux ! »

En effet, Renard distançait déjà notre coq...mais elle est rude, la Côte de Montaloyer, rude et longue (cette expression me rappelle quelqu'un !)...et Goupil (et ça, c'est pour éviter la répétition, mes enfants !) se mit bientôt à traîner la patte :

« Je n'en peux plus, Moitié d'Jau...tu as le Diable au corps !

-Je te l'avais bien dit : allez rentre dans mon cul ! »

En ces temps, le Rond-Point de Montaloyer n'était qu'un simple croisement de chemins encaissés, et, pour tout dire, assez mal fréquentés...Justement, derrière ce gros chêne...

« Où vas- tu, Moitié d'Jau ?

-Ah...Bonjour, Loup ! Je poursuis cette voleuse d'Armandine qui emporte ma bourse de cent écus.

-Elle est passée par ici, il y a peu...je comprends pourquoi elle paraissait si gaie...Je t'accompagne : tu auras besoin d'un gaillard comme moi !

-Mais non, tu n'arriveras pas à me suivre.

-Pas assez fort moi ? Tu veux rire ? »

Et le Loup de Montaloyer s'élance, franchissant allègrement talus et fossés...mais les kilomètres, ça use, ça use...Et notre animal, tirant la langue, ralentit sa chevauchée et s'allonge finalement sur la mousse.

« Je te l'avais bien dit : allez fourre dans mon cul !»

Cette grande clairière, c'est La Croix Palais où habitait autrefois ma maîtresse...et voici Puy Bertin...le bourg d'Urçay...le Pont du Cher et ses laveuses.

« Bonjour, Moitié d'Jau ; on ne te voit pas souvent par ici. Il est vrai que tu n'apprécies guère la baignade !

-Bonjour, Rivière...c'est que je dois aller au-delà du Pont, chez Armandine, la maudite mégère qui m'a volé une Bourse de cent écus !

-Tout seul, tu n'y penses pas ! Elle va te massacrer ! Je t'accompagne.

-Ah non...tu vas me retarder et la vieille aura le temps de cacher son butin.

-Détrompe-toi ; un fleuve, ça coule, ça coule très vite ! »

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Et, en effet, le long de Butte des Raynats, le Cher prenait de la vitesse et le coq n'en pouvait plus de sautiller sur sa pauvre patte. Hélas : après la pluie, vient le beau temps...et, après la descente, c'est la montée...

« Hep, Moitié d'Jau...l'eau, ça ne sait que descendre ! Je n'arrive plus à te suivre.

-Je te l'avais bien dit : allez, rentre dans mon cul ! »

Dernier effort...un sentier pentu ; là-haut, tout au sommet de la colline, voilà la maison des voleurs :

« Holà, vieille méchante, je suis venu reprendre la Bourse de cent écus qui appartient à Tante Marie !

-Mais, tu as raison, Moitié d'Jau ; je m'étais trompée...ce n'était pas la mienne...Approche sans crainte ; je vais te la rendre. »

Trop crédule le pauvre coq ; à peine la barrière franchie, le voilà jeté dans l'enclos des oies...Déjà, un jars féroce le menace de son redoutable bec en sifflant de colère...et Moitié d' Jau se retrouve acculé contre la haie. Allons, coq, reprends tes esprits : mon histoire ne peut finir ainsi !

«Mais, c'est bien sûr :...Renard ! Renard ! Sors de mon cul ; sans toi, je suis perdu ! »

Et Renard, trop heureux de l'aubaine, se précipite...et dévore...dévore (L'oie, quel délice). La basse-cour est décimée...Quand les propriétaires reviennent :

« Maudite bête ! On t'avait sous-estimée...mais tu n'en réchapperas pas pour autant ! »

Fous de rage, les deux misérables saisissent Moitié d'Jau et le précipitent dans l'enclos des béliers...Cinq béliers capables d'éventrer un homme...alors un coq, vous pensez !...et bien, lui ne pense même pas :

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« Loup ! Loup ! Sors de mon cul ...sans toi, je suis perdu !

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- Tremblez, Béliers ! »...et le cruel animal (comme dit la fable) galope déjà dans le pré.

Mais là, Papy n'est plus sûr de rien...et si le Loup n'était qu'un Gros Farceur ?

Toujours est-il que, quand l'Armandine revient, le loup et les moutons ont disparu ; mais le coq est toujours là, dressé sur le tas de fumier (comme tous les coqs)...et il cocoricote :

« Cocorico ! Rends-moi ma Bourse de cent écus ! Cocorico ! Rends-moi... »

Pas question de l'affronter au mulet ou aux vaches : il les réduirait en hachis ! Alors, qu'en faire,...un rôti ? Justement, le four à pain est allumé, en vue de la cuisson de la fournée de la semaine et de quelques galettes....On attrape le coq, pas besoin de le plumer : les flammes s'en chargeront...Allez, au four !

« Je brûle ! Je cuis ! Mes plumes sentent déjà le roussi !...Rivière ! Rivière ! Sors de mon cul ; sans toi je suis perdu ! »

Jamais le Cher ne s'en était tant donné à cœur joie ; il éteint le four, il traverse la cuisine (la bourse trône toujours sur le buffet), il se rue par la porte et dévale la colline, emportant tout sur son passage, y compris la propriétaire qui se souviendra longtemps sans doute de cette bonne leçon !

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« J'ai retrouvé ma Bourse de cent écus ! J'ai retrouvé ma Bourse de cent écus ! »

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Notre conte se termine donc là ; Moitié d'Jau revint à La Chasserie où il fut accueilli en Héros !

Plus question de Coq au vin...Plus question de Poulet rôti !

Il parade en tête de sa basse-cour...Il gourmande les poules qui avaient osé se moquer de lui !!!...On prétend même qu'un cousin-coq, jaloux, se fit amputer d'une patte pour l'imiter ! Tante Marie en fit tirer un portrait que nous avons retrouvé dans son armoire...

Et le tout, bien sûr, se termina par une GRANDE FÊTE MÉMORABLE, avec DÉFILÉ DE COQS sur Les Champs... (Ah, non, pas ça tout de même Papy!!!).

Rectificatif : Comme Papy l'a précisé, le Loup de Montaloyer n'a pas dévoré les béliers, contrairement à ce que prétendait le Conte...il a simplement organisé une gigantesque partie de « Saute-moutons » afin de dégager la route de Moitié d'Jau.

 

De même, le Juge de Paix de Cérilly a innocenté le Renard de La Verrerie qui n'a pas fait un festin d'oies : à cette occasion, il aurait même inventé un nouveau jeu pour détourner leur attention et sauver son ami. Maintenant, vous le pratiquez souvent avec Mamie, c'est celui qu'on a baptisé le « Jeu de l'oie ».

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Jean-Jacques