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Beauregard... une ferme en 1930

Beauregard 1930

Beauregard 1930

Revenons un siècle en arrière : le cadastre de 1830 nous montre ce qu’était alors la propriété…les deux domaines n’en faisaient qu’un et les bâtiments étaient construits dans un enclos à l’écart des chemins, comme pour beaucoup de grosses fermes bourbonnaises. On distinguait Beauregard et sa « Réserve » reliée au Chemin de Meaulne à Ainay par une allée rectiligne, traditionnelle, elle aussi. Les propriétaires devaient habiter la Réserve ; en 1930, au-dessus de la porte d’entrée on avait conservé la cloche qui appelait les ouvriers à l’heure des repas et on a retrouvé, dans les placards, de vieilles photos jaunies et des livres qu’on imagine mal appartenir aux ouvriers…

Beauregard était alors la propriété de la Famille Carreau qui, depuis des décennies, avait fourni à la Commune de Braize des Conseillers municipaux, Adjoints ou Maires ; leurs tombes se trouvent encore près du chevet de l’église…outre Beauregard, ils possédaient de nombreuses propriétés, au bourg, de la Maison du Bon Saint Antoine à celle du Clocheton, d’autres à Urçay ou St Bonnet le Désert…la dernière représentante de cette Dynastie fut sans doute Mme Petit, veuve Carreau, décédée en 1928.

Un arrière grand-père, Jacques Demet, s’installa à Beauregard dans les années 1900, venant du domaine de La Grange au Brethon avec ses sept enfants ; l’un d’eux lui succédera à la ferme, deux autres iront aux domaines Carreau de La Croix-Palais, le quatrième, célibataire sera leur ouvrier d’appoint…Louise Demet épousera Etienne Martin, fils d’un ouvrier de l’Usine de Laloeuf habitant à La Queudre ; ils resteront métayers Carreau à la fermette du Champ de Balais, puis fermiers à La Réserve de Beauregard après 1928 et le changement de propriétaire…D’après notre ancienne « Mémoire de Braize »et voisin, Louis Brunet, ils y remplacèrent M Boudignon, lequel succéda, près de notre Baignereau, au couple Regrain qui y tenait un café et y organisait même des bals avant de s’installer au Bourg …autre précision : le Champ de Balais avait, autrefois, abrité un atelier de tonnellerie.

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1930 : les 2 domaines ont été séparés, mais le terrain qui sépare les bâtiments a été entièrement attribué à Beauregard et le grand-père Etienne est obligé d’utiliser son « Champ de Balais » pour entreposer le gros matériel, la paille, c’est là qu’ont lieu les battages. Pire, on doit entasser le fumier dans la cour où la « plote» trône tout près du puits ; le propriétaire imposera le partage du pré mitoyen, partage qui provoquera la « brouille » des deux voisins. On était en période verte : le gouvernement encourageait alors la confection de haies vives…je me souviens de la plantation de la bouchure d’aubépines qui matérialisa cette séparation…elle résiste encore !

La Réserve de Beauregard était un domaine d’une trentaine d’hectares ; Braize en comprenait trois ou quatre de superficie équivalente ou légèrement supérieure mais, surtout, une majorité de petites « locatures » avec leurs attelages de deux ânes qui ont laissé des souvenirs marqués dans le village (une vieille agricultrice de la commune venait de perdre son mari…la rencontrant, je bredouillais quelques condoléances « Mon deuxième âne vient de mourir, me dit-elle, en pleurs… », les condoléances tournèrent court.)

Une bonne partie des terres était voisine de la ferme : l’enclos du Champ de Balais (10ha), le Champ des Châtaigniers et le pré contigu (4ha) …pas très loin, les Pâturaux du Taillis et les Oyards (5ha), la Cornille (3ha), le Pré de Baignereau (1ha)…seules les Alouettes (6ha au-dessus du vallon des Ris), le Croisier et la Rouesse (2ha proches de l’ancien lavoir) nécessitaient des longs déplacements pour les attelages)…y ajouter 2 petits prés loués à un beau-frère.

Pour comparer avec l’actuel, vous trouverez ci-dessous un plan approximatif de ce que je nomme Enclos du Champ de balais ! Notre horizon se limitait alors au taillis et aux kilomètres de haies des multiples “Pâturaux de Baignereau”…il se déploie maintenant jusqu’aux friches de genêts de La Goutte et aux lisières de Richebourg!

Cet enclos était limité par le taillis qui courait encore, à cette époque, de la Rue de Charenton à la Route d’Ainay. Les parcelles 1, 5 et 6 étaient des prés permanents, le dernier, le “Bas bleu” étant aussi appelé “Pré des Cochons” qui y transhumaient journellement, depuis la ferme…il communiquait avec les Pâturaux par un échalier rustique et par une petite mare. Les champs 2, 3 et 4 consistaient en terres de cultures, avec un assolement plus ou moins régulier…et des rendements douteux…

A la limite du Bas bleu et des Pâturaux, on devinait facilement le tracé en creux, le long de la haie, de l’ancien “Chemin d’Ainay le Château au Village de Braise” qui se dirigeait vers le hameau des Gallerands (voir la page consacrée à l’ancien cadastre). Dans le “Champ du Puits”, devait être bâtie une maison du même hameau. Cet ancien tracé explique également le curieux accès à 5 parcelles de l’enclos par la cour de la maison du Champ de Balais…Cette maison n’est pas mentionnée sur le cadastre de 1834; avant 1900, elle dut abriter un atelier de tonnelier, puis la fermette des grands-parents qui “monteront” ensuite à Beauregard.

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LES BOUCHURES
Et bien oui, une page spéciale pour réhabiliter la bouchure !
C’est un abri bienvenu pour les troupeaux au cours des giboulées de printemps ou des bourrasques d’automne… un barrage contre les ruissellements d’eau de pluie… une réserve de nourriture pour toute une petite faune à plumes, à poils, voire à piquants – il y avait bien quand même quelques vipères ou gros lézards verts effrayants !
Outil de bornage également, elle marquait la limite des parcelles, avec souvent aux angles, une grosse pierre et quelques arbres tout du long que l’on retrouvait parfois hors du tracé, suite à des élagages « dynamiques » destinés à chaparder un ou deux mètres carrés au champ du voisin ou au chemin en bordure qui devenait de plus en plus étroit !
Et quelle inépuisable source de matières premières: bois d’œuvre grâce aux chênes élagués jusqu’à bonne hauteur, mais dont l’abattage restait sérieusement restreint par le propriétaire ; les « têteaux » (arbre têtard) fournissaient le bois de chauffage, les fagots et les feuilles d’orme destinées à la nourriture des porcs.
Enfin, il n’existait sans doute aucune haie du domaine à ne recéler quelque fruitier : aux Alouettes, de nombreux pêchers et le gros merisier qui garnissait les clafoutis…le Croisier était entouré de noisetiers…on allumait le four de la « boulangerie » pour sécher les « poirons » du pré de Baignerault…la Cornille avait ses bigarreaux et ses nombreux merisiers…au Champ de Balais, des pommes d’hiver, des pommes d’api, des poires sucré-vert, deux gros noyers…dans le pré de la maison, un sorbier dont on mettait les fruits à fermenter dans un tonneau pour la « gnole » malgré les craintes de ma mère , un noyer, des merisiers…au Champ des Châtaigniers (devinez ?) avec en plus un gros « mêlier » (néflier ) près de la barrière, un alisier, un « coeurier » aux gros fruits savoureux…les prunes mirabelles ou reine-claude au Bas-bleu…sans oublier les prunelliers un peu partout, dont les petites baies produisaient une eau de vie réputée…et j’allais négliger les touffes de violettes sur les talus, au printemps !
Les haies vives étaient plantées d’épine noire (prunelliers) ou d’épine blanche (aubépine) dont on conservait soigneusement les branches quand on les coupait, en vue de rapiéçages éventuels ; en fait, s’y invitaient souvent des ronces et tout plein d’autres petits arbustes, tels les « bonnets carrés » (fusains), les buis ou les lilas près des maisons…
Dans les brèches où ne croissait rien d’utilisable (on utilisait pourtant à peu près tout !), on construisait une « haie sèche » avec les épines que l’on couchait dans le sens du vent, entre des piquets ou la base d’arbustes que l’on avait préservée.

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Il fallait régulièrement « râper » ces bouchures envahissantes à l’aide du « cresson » (le croissant) et, chaque hiver, on procédait au renouvellement total des plus touffues ; après avoir prélevé le bois de chauffage, les fagots et les rameaux d’épine, on entassait les débris pour les brûler sur place…Un grand moment de plaisir !…sauf, qu’un jour de grand vent, le brûlis eut la mauvaise idée de s’étendre vers la haie, puis vers le taillis du Champ de Balais qui dut son salut à l’intervention rapide des pompiers !

Comme le personnel manquait souvent pour « garder les vaches », on doublait la haie par une clôture de fils de fer barbelés, surtout en période « d’ouverture de la chasse » ; on n’oubliait pas de surveiller les brèches ouvertes par quelque Nemrod indélicat et d’installer des échaillers (échaliers) à leur intention…mais allez donc dévier de sa trajectoire un chasseur lancé à la poursuite d’un lapin de garenne ! La maison Martin avait aussi une technique de confection de barrières presque exclusive : on en reparlera.

…et concluons par la preuve irréfutable de la nécessité des Bouchures :le bail précisait bien que le fermier n’avait pas le droit d’élever des chèvres, ennemies jurées des haies de toutes sortes !

Les bâtiments

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Seules, les grandes fermes avaient une « cour fermée » par les bâtiments et les murs, à la différence des petites « locatures ». Celle de « La Chasserie », bien connue de la famille, alignait, à partir de la route, une buanderie, un « rouetton », le four et deux petits appentis en « basse-goutte », puis la grande pièce à vivre, une étable et deux écuries abritant porcs et volailles ; la grange donnait, à droite sur le fenil et à gauche, dans le grenier.
Jusqu’en 1934, à la Réserve de Beauregard, on entassait le fumier entre la grange et le jardin, à quelques pas du puits et de la maison !

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LES BÂTIMENTS D’HABITATION étaient situés au fond de la cour, à gauche. A l’origine, il n’existait sans doute que la « vieille maison », une pièce unique de six mètres sur six ; on voyait encore l’ébauche d’une pierre d’évier qui évacuait l’eau au travers du mur dans la petite chambre qu’on avait séparée pour coucher un deuxième couple.

Puis, venait la « Grande Chambre », avec, à gauche, près de la cheminée, le lit des grands-parents ; contre l’autre cloison, une armoire rustique en chêne pour le linge, puis le lit de l’oncle Roger au fond et, à droite de la deuxième porte, une autre armoire garde-robe. Les deux lits étaient « à rouleaux », avec peut-être anciennement, des baldaquins : il en restait un au grenier et les vestiges de leurs rideaux rouges avaient été recyclés pour de multiples usages. Il y avait aussi à droite en entrant, avant l’ouverture qui descendait au jardin, un placard – mon placard aux secrets – en creux dans le mur ; il renfermait entre autres une boîte remplie de coquillages marins rapportés par Etienne Martin, après son séjour à l’Hôpital militaire de Granville et des livres ayant sans doute appartenu aux anciens propriétaires : des Traités de Sorcellerie, des Romans fantastiques auxquels je n’avais théoriquement pas accès…dans les deux plus gros coquillages, « On entendait la mer ! ». La présence des niches et placards encastrés dans les murs était sans doute due au manque de mobilier.

La porte du milieu, au fond de la chambre, permettait d’accéder à la « Maison Neuve » qui avait aussi une issue vers le jardin. Trois pièces de mêmes dimensions, trois sorties avec les mêmes escaliers faisaient penser à trois habitations distinctes : plusieurs familles…des ouvriers… Cette maison neuve qui deviendra notre salle à tout faire, vers 1940, quand le grand-père prendra sa retraite me laisse peu de souvenirs…c’était, à l’époque, une sorte de réserve polyvalente, aussi bien lieu de stockage que d’hébergement éventuel si l’oncle Jean Demet était occupé à quelques menus travaux à la ferme. Elle avait aussi sa cheminée et un escalier permettait de rejoindre la deuxième cave. On reparlera de la « Vieille Maison » et de notre « Petite Chambre »…

Au-dessus de ces pièces, LES GRENIERS : trois greniers de niveaux différents, encore une preuve que ce bâtiment avait connu de multiples étapes au cours de sa construction. On y montait par un vieil escalier aux marches en pierre dont l’usure attestait à la fois l’ancienneté et l’utilisation intensive! Combien de sacs de grain, combien de porteurs les ont gravies ?

Le premier était le plus bas et sa charpente aux chevrons équarris à la hache eût mérité un classement au patrimoine local ! A gauche, l’orge et l’avoine, à droite, un gros tas du seigle des Alouettes, mais aussi la bascule, le tarare, la « mesure » (le double-décalitre), des pelles à grain, voire des fruits mis à mûrir sur le grain…

On accédait au deuxième par une petite porte avec deux marches d’au moins cinquante centimètres à gravir. Il était situé au-dessus de la grande chambre et servait surtout de « fourre-tout » : ruches ou « benots», planches ou « râlons » de barrière, matériel à tresser les cordes à veau ou les câbles de carrioles, vieilles panières, baldaquins, que sais-je encore ? On pouvait y monter aussi à l’aide d’une forte et dangereuse échelle que j’ai négligée sur mon dessin et qui aboutissait à une grande lucarne.

Il fallait redescendre de quelque trente centimètres pour arriver au-dessus de la maison neuve ; plus neuf aussi le plancher de ce troisième grenier : c’est là que l’on entassait le blé…un vasistas à crémaillère permettait de l’aérer et de l’éclairer un tant soit peu.

Accolées aux bâtiments, LES CAVES ; la première abritait surtout là récolte de pommes de terre de consommation. On y accédait par la « Cour de derrière » ; une porte intérieure conduisait à la seconde où on devait entreposer le laitage, avec les pots, les égouttoirs, « la pote, la couloire et le pot-tirouet », les confitures et le miel, le garde-manger et puis aussi le tonneau de vin…On pouvait achever le tour complet en revenant par la maison neuve…Bien sûr, tout plein d’autres « ravauderies » devaient y être entassées :sacs de jute et autres boîtes vides …

LES ÉCURIES DE COCHONS

Il faut préciser que je n’avais jamais entendu prononcer le mot « porcherie » ; tous les animaux logeaient dans des écuries ! De l’escalier du grenier jusqu’à la route, c’était un ensemble de bâtiments bas et vétustes, avec dans le recoin, la niche de Miraut, le vieux chien « à tout faire ». Il y avait d’abord deux réduits noirs et bas que même des porcs auraient dû récuser, puis un autre, un peu moins pire, en plus grand. Après, venait la « BOULANGERIE » : cette appellation tenait à la présence du four où on cuisait la fournée de pain autrefois, contrairement aux locatures où il s’ouvrait dans la pièce à vivre. La boulangerie était maintenant le lieu où l’on préparait la nourriture des porcs ; il y avait, à droite de l’entrée, une vieille maie devenue coffre à farine, farine que l’on prélevait à l’aide d’une boîte jaune ayant contenu de l’aliment Sanders, en face, la marmite à cochons où on cuisait surtout les pommes de terre et, accessoirement, le boudin quand on tuait le cochon ; sous la gueule du four, la réserve de cendres et le baquet destiné à récupérer les eaux de vaisselle et le « petit lait » qui allongeaient la pâtée des porcs et , dans le coin, une vieille armoire ayant dû souffrir des flammes…encore un « fourre-tout », spécialité familiale.

Et le progrès s’insinua ! Sous la lucarne, près de la porte, le billot et la hache qui étaient utilisés pour couper menu la verdure destinée à vitaminer la nourriture firent place à un « coupe-orties » rutilant. C’était en fait une sorte de hache-paille dans la goulotte duquel on enfilait une touffe d’orties (gants obligatoires !) : le volant muni de lames officiait à la place de la vieille hache. Dans cette pièce, au-dessus du coupe-orties, restait suspendue horizontalement une sorte d’échelle, en réalité, le « tourtier » où l’on rangeait les miches de pain autrefois.

Enfin, une dernière porcherie avait été rajoutée plus récemment : plus vaste, elle avait dû héberger d’autres hôtes, comme le laissait supposer la présence d’auges et de râteliers.

Une petite courette ne sera fermée que bien plus tard : les cochons avaient accès à la cour commune ; leurs auges étaient soit taillées dans la pierre, ou en tôle pour celles qu’on avait dû renouveler. Deux ou trois « ECURIES DE LAPINS » étaient adossées à ces bâtiments…c’était des cages en planches, faites maison, avec des portes grillagées et de vieux sacs en jute faisant office de rideaux contre le soleil en été ou le vent d’est en hiver.

LA GRANGE, LES ÉTABLES, L’ECURIE DES CHEVAUX, LES POULAILLERS…

L’état de ce corps de bâtiment, visiblement mieux entretenu, contrastait avec celui des précédents : c’est que la foudre les avait incendiés à deux reprises ; les croix dressées aux extrémités de la toiture en seraient le témoignage…ou bien la quête d’une protection divine ? Il n’était qu’à comparer les portes de la grange, d’une affligeante banalité, avec les porches monumentaux de celles de Beauregard ou de La Croix Palais : on n’avait manifestement pas reconstruit à l’identique, à ma plus grande frustration !
En retour, les « écuries de vaches » y avaient gagné en hygiène et en fonctionnalité.

« Dans les grosses fermes bourbonnaises, la grange-étable était séparée de la maison d’habitation. Elle était divisée en travées perpendiculaires aux murs longitudinaux, celle de la grange ayant une largeur qui permettait le passage d’une carriole ; on aménageait plusieurs travées d’étables correspondant chacune à une spécialisation (vaches, génisses…etc.). Des communications internes permettent le passage entre elles, l’alimentation des bovins s’effectuait partiellement par des fenêtres occultables percées dans les murs séparant étables et grange. Au-dessus de l’ensemble, le fenil offre un important volume de stockage pour le fourrage »…l’architecte de Beauregard s’était sans aucun doute inspiré de ce texte …on peut inverser le raisonnement !

La première ÉCURIE DE VACHES s’ouvrait par une porte à deux vantaux sur un couloir de briques surélevées ; au milieu, un solide pilier de chêne soutenait la grosse poutre centrale : il était toujours enjolivé de cordes à veau et d’une poignée de ficelles récupérées sur les bottes de paille. Ce couloir, bordé de deux rigoles à purin, permettait le passage de la grosse brouette chargée de litière ou de fumier, selon la tâche en cours. Réservée aux vaches et à leurs jeunes veaux, également lieu où on effectuait la traite, elle comportait deux travées de part et d’autre, avec le long de chaque mur, râteliers et auges en ciment munies de boucles pour y attacher le bétail. La rangée de droite pouvait être approvisionnée en foin depuis la grange par trois petites fenêtres ; à gauche de la porte, une trappe ouverte dans le plafond permettait de jeter le fourrage depuis le fenil …la vêleuse restait toujours disponible, pendue à quelque cloison.

A l’autre extrémité du bâtiment, près de la route, l’écurie des « jeunesses « (les génisses) et des châtrons présentait sensiblement la même configuration.

La GRANGE proprement dite permettait de communiquer facilement avec les deux étables pour la distribution de la nourriture, avec des volets occultant les « passages à foin » sans aucune ressemblance avec les modèles à glissière installés à l’origine.

Elle présentait des aspects bien différents selon la saison : en été, la travée centrale était dégagée et découverte pour permettre d’y reculer les carrioles chargées du foin qu’on entassait de chaque côté de l’immense « chafaud » (le fenil) ; quand la fenaison s’achevait, on couvrait cette travée au moyen de poutres et de planches afin d’y stocker le surplus de fourrage qui transitait alors depuis l’extérieur par une lucarne. La grange était ainsi parée pour l’hiver, avec au fond une réserve de betteraves renouvelée régulièrement depuis le silo immuablement installé le long de la haie du Champ des Châtaigniers ; il y avait aussi une petite provision de choux-raves et quelques topinambours (les topines) laissées en terre et arrachées selon les besoins ou la disponibilité des travailleurs.

Quelques paniers d’osier rafistolés avec les ficelles déjà évoquées, une « resse » plus rustique que celle destinée au transport de la lessive, une pelle, des « balais de boule » (bouleau), les vieux couteaux pour râper les légumes et le rébarbatif coupe-racines à manivelle si pénible à actionner lorsque la trémie était remplie de choux-raves !

On jetait le foin depuis le fenil par un passage ménagé en haut et à gauche de la provision de foin, trouée qui s’élargissait vite, au gré de l’appétit des pensionnaires.

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Bordant la route, L’ÉCURIE DES CHEVAUX ET LE POULAILLER avaient également subi une rénovation complète après l’incendie. Face aux auges et aux râteliers, les chevaux disposaient de trois stalles séparées par de solides « bat-flancs » en bois, capables de résister aux pires ruades…Ruades ?…c’est une figure de dressage que le vieux Bijou, La Grise et La Poulette, les dociles Percherons de Louis Martin ne connaissaient pas ! Un coffre en bois, à droite de la porte, renfermait la provision d’avoine qu’on distribuait dans une vieille bassine à linge, recyclée elle aussi. Au mur, trois équerres en bois, œuvre de mon père, soutenaient les harnais de l’attelage, selles, croupières et les colliers aux « oreilles » régulièrement repeintes en rouge-vermillon, sans doute les couleurs de la maison !

Le poulailler disposait d’un système compliqué de perchoirs quadrillés et d’échelles en bois souillées de crottes ; dans les murs, des niches garnies d’un œuf-leurre en pierre (le gnot), pour les pondeuses ou les couveuses, mais desquelles étaient impitoyablement chassées les vieilles « poules couisses » ! Plus tard, une annexe en planches fut ajoutée pour y engraisser, dans l’obscurité, les volailles destinées à la vente ou à la consommation familiale.

Les TOITURES des anciens bâtiments étaient couvertes de petites tuiles plates (disons plat-bombé), déjà bien usées et écornées, avec des faîtières maintenues à la mode du pays bourbonnais de l’ouest par des « pigeons » pointus ; sur les bâtiments reconstruits, elles avaient fait place à des tuiles mécaniques.

Au centre de l’ensemble, la COUR dont on ne faisait la « grande toilette » que deux ou trois fois l’an ; elle était fermée sur la route par une grosse barrière en bois et, vers le jardin par un « barriot » métallique qui me pinçait malicieusement les doigts ! Le long de toutes les écuries, couraient des rigoles à purin, « les osines » ; elles se rassemblaient au centre de la cour en un petit fossé empierré qui traversait le jardin pour aller se perdre dans le pré de la maison….Pendant qu’on y est, parlons des « toilettes » : les voisins disposaient d’ « une petite cabane au fond de la cour » entretenue par le grand-père Vilpreux…chez nous, rien, on se débrouillait avec les étables ou la bouchure du pré ! Le propriétaire ne fera construire une fort jolie maisonnette dans le jardin qu’à la fin de la décennie 1940…

Revenons à la cour et au puits profond d’une dizaine de mètres et creusé contre le mur du jardin, non loin de l’osine : il était couronné de la même margelle métallique que ceux de toutes les propriétés « Carreau » ; sous le gros marronnier, une auge pour abreuver le bétail…comptez quarante à cinquante seaux à « tirer » pour la remplir !

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En 1938, après la noyade de Joseph Vilpreux, les puits des deux domaines furent remplacés par des pompes, moins dangereuses, mais tout aussi pénibles à actionner. Leur chaîne « se coinçait » parfois dans le tuyau en plomb ; alors intervenait le plombier d’Ainay, M.Dubouis qui descendait dans le trou effrayant – pensez à la mère à bras – par une petite ouverture circulaire au moyen d’une échelle de corde…ce qui m’a permis de comprendre le sens du terme « assurer » puisque le plombier-alpiniste était retenu par une corde que déroulait l’oncle Roger.

Passons dans la « Cour de derrière », mon cauchemar ; pour y accéder, on devait emprunter « le rouetton », un passage étroit entre la dernière porcherie et le haut mur bordant la route. « Il faudrait peut-être penser au bois ! »…une panique, à la nuit tombée, pour aller couper quelques fagots destinés à allumer le feu du lendemain et transporter deux ou trois brassées de bûches…mais pourquoi toujours attendre le crépuscule,…je n’ai pas encore la réponse !

Dans cette cour, il y avait donc « le hangar à bois » couvert de paille de seigle et clos sur trois faces par les réserves de bois de chauffage, empilées entre les montants du hangar. Les outils du bûcheron malgré lui : la hache et le « plot » pour fendre les rondins ou couper les fagots, une serpe plantée dans un poteau, la « chèvre » et la scie à bûches dont on tendait la lame en tortillant la corde opposée…pour les ouvriers plus confirmés, un merlin et des coins, une « picande »…Contre la haie du Champ des Châtaigniers, on dressait les « fagotiers », il y avait aussi quelques billes de chêne destinées à être fendues ou débitées en planches et en chevrons. On veillait à y entretenir et renouveler des arbres fruitiers : pruniers reine-claude, sainte-catherine…cerisiers aigres…pommiers bures…mais surtout un « poirier curé » plutôt utilisé comme support pour des perches dressées contre son tronc « qui pouvaient toujours servir », et le « poirier bouyère » dont on faisait sécher la récolte, avant de découvrir bien plus tard qu’elles faisaient de délicieux pâtés !

Et puis le VIEUX HANGAR couvert de tôles ondulées, rouillées jusqu’à l’usure. Il abritait tête-bêche les tombereaux et les carrioles, le « person », sorte de cage destinée à peser les porcs ou les veaux, la brouette à linge, les « palonniers » et les chaînes des charrues…au fond, n’importe quoi, en partant du principe que tout pouvait être recyclé ! Les outils qui ne craignaient pas les intempéries restaient à l’extérieur : les charrues, le rouleau aux « brancards » dressés vers le ciel, le buttoir, la « binette », le « cultivateur », les herses…Près du four, on entassait de vieilles ferrailles : outils périmés, chaînes rouillées, tuyaux hors d’usage, cercles de tonneaux ou de roues de charrettes, rouleaux de grillage à réutiliser ( ?), crochets en tous genres, et des boîtes vides…encore des boîtes vides ! Certaines variantes étaient suspendues au mur ou à la cloison du hangar.

Après 1934 et l’installation des grands-parents Vilpreux à Beauregard, le pré séparant les 2 domaines fut partagé et on disposa alors d’un emplacement pour la « pelote de fumier », les gerbiers et les paillers. On montait le fumier à la brouette, en ménageant une sorte de plan incliné sur la « plote » ; il n’y eut jamais de fosse à purin et, les bottes restant inconnues à la ferme, on pataugeait souvent avec nos gros sabots. Les récoltes de céréales étaient entassées en deux « gerbiers » disposés de part et d’autre du futur emplacement de la batteuse ; le pailler s’allongeait plus ou moins le long de la bouchure, selon les rendements de l’année : on pouvait y échanger quelques propos avec le voisinage en allant chercher la litière en hiver. On y dressait également les silos de « pommes de terre à cochons », les betteraves étant traditionnellement conservées dans le Champ des Châtaigniers.

Enfin, on avait trois jardins, et même quatre, si on y ajoutait la petite bande de terre située entre la grange et la route (avec muret et niche briquetée, sureau, iris, et fouillis). On les désignait sous les noms peu poétiques de jardin de devant et de derrière ; leur clôture était alors alignée sur le pignon de la maison, ce n’est qu’en 1942, suite au rationnement du vin qu’on y ajouta une bande prélevée sur le pré et qui fut aux deux tiers consacrée à la culture de la vigne. Un cognassier, un prunier sucré qui garnissait de merveilleuses tartes (on ne parlera pas des noyaux dont le volume excédait celui de la chair !), plusieurs groseilliers, et des « yuriers » (osier) pour fabriquer les paniers du grand-père…enfin deux ruches, domaine réservé de l’oncle Roger. Et puis, il y avait le recoin du Champ de Charenton qu’on atteignait à l’issue d’un parcours du combattant, jalonné par deux barrières et deux « échaliers », un délicieux petit « jardin de curé » qui fut rapidement abandonné, déjà victime du productivisme agraire !

La "vieille maison"

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Après le mariage de mes parents, l’ancienne pièce unique avait été partagée; la « petite chambre », séparée de la cuisine par un galandage de brique mince, fort précaire, était utilisée par mes parents. J’y avais aussi mon petit lit en fer, une cage aux quatre panneaux rabattables ; la cloison, pliée par le poids du grain entreposé dans le grenier, me procurait des angoisses nocturnes au cours desquelles je me retrouvais enseveli sous un amas de seigle !

La « Vieille Maison », c’était le lieu de vie, de rencontre, le Foyer en fait…et en dépit de sa vétusté, j’en conserve de merveilleux souvenirs, presque intacts : volumes, formes, couleurs, incidents aussi.

L’élément principal en était, sans conteste, la massive table de chêne qui trônait au milieu de la pièce, si patinée que je pouvais racler avec l’ongle du pouce les traces laissées par les générations antérieures : un grand tiroir à l’extrémité vers la cheminée où l’on rangeait « les pains de cinq livres », un plus petit au milieu pour les couverts (…et dire qu’à l’autre Beauregard, ils disposaient d’un grand tiroir à chaque bout !). A gauche de l’entrée fermée par une solide porte pleine, surmontée de la traditionnelle « imposte » bourbonnaise, il y avait « l’arche » (la maie) qui ne servait plus à pétrir, mais de coffre de rangement ; sous la fenêtre aux battants disjoints, un placard en creux, avec un rayon pour les pots à lait et, en dessous, le seau d’eau. Au fond, un placard à deux étages qui montait jusqu’au plafond était lui aussi encastré dans le mur, mais son contenu était protégé par quatre portes d’une curieuse couleur orangée, puis la cheminée, peinte en noir pour camoufler les traces de suie dues aux feux de cheminée à répétition; y étaient alignées la lampe à pétrole, des bougeoirs, une série de boîtes…farine, sucre, épices…sans oublier le « salignon » dépareillé, peut-être une « prime » de quelque commerçant ? La cuisinière Rosières avait remplacé un ancien poêle en fonte noire « à quatre marmites », si commun dans la région. Emaillée d’une couleur tirant sur le violet, avec une fontaine-réserve d’eau chaude, sa porte à gauche du foyer était toujours rabattue en vue de distribuer d’avantage de chaleur dans la pièce, ce qui provoqua la disparition de mon « culbuto » en celluloïd que j’avais eu la malencontreuse idée d’y placer !

En été, cette cuisinière était enfoncée dans la cheminée où le tuyau s’engouffrait directement, mais, en hiver, on la sortait de deux bons mètres vers la table, pour profiter du rayonnement des rallonges qu’on enfilait dans un trou cylindrique, camouflé par un calendrier des PTT à la belle saison. La porte du four était alors fréquemment utilisée pour s’y réchauffer les pieds, alors que des briques y restaient en permanence, destinées à tiédir les draps avant l’heure du coucher (avec une variante « fer à repasser »)

Il y avait la fameuse cloison dont le plâtre souffrait de sa courbure prononcée et laissait apparaître de larges portions de brique nue, la porte vitrée de la chambre, badigeonnée d’un gris sinistre, une armoire et, tout à fait dans le coin, l’horloge rustique au balancier composé d’une mince tige métallique et d’un cercle de cuivre tout simple de quelque dix centimètres de diamètre…sur son cadran, le lieu de fabrication : Mont-Luçon, en deux mots ?

Entre la porte d’entrée et celle de la grande chambre, une planche de chêne, fixée au mur, supportait des chapeaux et, au-dessous, cinq ou six crochets auxquels on suspendait nos vêtements, le plus folklorique restant incontestablement la « peau de chèvre » noire qui me permit un soir d’effrayer des Parisiens en vacances au Champ de Balais !

Les murs étaient d’un beige indéfinissable, le plafond en plâtre sur lattis de plus en plus apparents avait, depuis belle lurette, perdu sa blancheur initiale et quelques souris gourmandes pouvaient facilement descendre vers la maie ou le placard par les trous en formation, sans parler des redoutables « lirons » qu’on entendait danser la sarabande, la nuit, dans le grenier !

Après chaque nettoyage du linge, on conservait le « lessis » pour laver à grande eau le carrelage de notre vieille maison, un carrelage usé et fendu par le passage de plusieurs générations de « laboureurs » , peu habitués à quitter leurs sabots en entrant dans la pièce !

Un mot de l’installation électrique de la ferme ; l’électricité venait tout juste « d arriver » dans le village et le propriétaire avait du réduire la dépense au maximum…dans les écuries et la grange, des abat-jour émaillés, blanc dessous, vert au-dessus, des douilles à baïonnette en porcelaine, une prise dans la grange pour la baladeuse. Seule fantaisie, l’abat-jour « tulipe » en verre teinté bleu-pâle (ou blanc), bien petite au centre du plafond de la chambre des grands-parents ; dans la cuisine, la suspension à contrepoids qu’on pouvait descendre et orienter afin d’éclairer la table pour trier des haricots pendant la veillée.

Les « fils électriques » étaient gainés d’une mince couche de caoutchouc qui durcissait très vite, doublée d’une tresse de coton ; dans les pièces d’habitation, ils étaient placés dans des baguettes à deux rainures, ailleurs, dans des tubes métalliques …mais on n’avait heureusement que du 110 volts !

Ne parlons pas des pannes, alors fréquentes : on allumait le « falot » pour monter au grenier vérifier le disjoncteur, ou bien il fallait grimper sur quelque meuble car les « plombs » (les fusibles) avaient été facétieusement placés au plus haut…il ne restait plus maintenant qu’à mettre en route la batterie de bougeoirs et la lampe à pétrole…ou à se coucher! Les premiers appareils électriques acquis furent sans doute le fer à repasser et un petit réchaud.

Une journée d'hiver à Beauregard

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Il faut dire qu’on en a connu des vraies, au moins en souvenir …ah ! De mon temps! Quand même, il n’était pas rare de voir les premières chutes de neige à La Toussaint, et puis, cette neige « durait »… pas assez pourtant à notre gré ! Je parle bien sûr de papy, ou de tonton Raymond…quelle déception quand la fonte s’annonçait !

La « Vieille Maison » était glaciale, mais on ne se levait guère après cinq heures ; la première tâche consistait à allumer la cuisinière, puis préparer le café qu’on prenait « noir » ou avec du lait, selon les goûts. Une simple tranche de pain y était ajoutée : le grille-pain n’était pas encore inventé, mais peut-être réussissait-on de temps en temps à faire brûler une tartine au-dessus des braises ?

Venait alors l’interminable épisode du « pansage » des bêtes qui comprenait deux opérations bien distinctes : la litière et l’alimentation et qu’on devra renouveler ce soir ! Le fumier était d’abord déposé près de l’allée centrale, souvent avec celui de la veille, la litière renouvelée avec de la paille : le grand-père Tripier disait qu’on « fambeuryait » les vaches (du Bourbonnais : fomberger). On l’entassait ensuite dans la brouette – énorme la brouette – pour le rouler et le déposer sur la « plote ».

On sortait les animaux deux fois par jour pour les faire boire dans une auge de grandes dimensions : quarante à cinquante seaux à « tirer » au puits ; les jours de fort gel ou de neige, on laissait les bêtes à l’étable et on leur donnait à boire dans un seau, devant leur « bâchat » en ciment utilisé pour les légumes…et la chaleur ambiante donnait plutôt soif ! Après quoi, de retour à sa place dans l’écurie et attachée, chaque tête de bétail recevait quelques fourchées de foin et une ration de betteraves ; les vaches laitières, les jeunes veaux et surtout les bovins destinés à la vente jouissaient d’un régime de faveur, sous forme d’un supplément de légumes (topinambours), de farine…La sortie et le retour dans l’étable s’avéraient souvent folkloriques : joie de se retrouver au grand air, plaisir de taquiner les maîtres en changeant de place…et gare aux cornes au moment de passer la chaîne autour du cou !

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Il y avait aussi les trois chevaux dont on s’occupait, selon le même rituel ; on les remettait souvent au champ, près de la ferme…plus tard, un remplaçant des percherons se brisera une patte dans la mare du Pâtureau gelée…

Pour les cochons, on devait faire cuire la marmite de pommes de terre tous les deux ou trois jours. Leur régime avait pour base le petit lait et la beurrée, résidus de la fabrication des fromages et du beurre, ainsi que l’eau de vaisselle (avant l’usage des détergents) ; tous ces liquides parfumés servaient à délayer la pâtée où les pommes de terre écrasées et la farine ajoutaient un peu de consistance. Les « mères coches » (les truies) et les porcs à l’engrais avaient droit à un supplément, ou à quelques friandises, tourteaux d’arachides, « farine Sanders »…les Bourbonnais disaient « qu’on les mettait au bâchat » (à l’auge).

Pendant ce temps, les femmes s’occupaient des lapins pour lesquels la verdure faisait défaut, et des poules auxquelles on jetait quelques boîtes de grain au milieu de la cour…elles préparaient également la soupe du matin.

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Vers neuf heures, tout le monde se retrouvait dans la cuisine pour ce repas que certains jeunes cultivateurs de la commune veulent remettre à l’honneur…Reconnaissons que le frugal bol de café était déjà loin : une soupe consistante, des légumes, un « bout » de saucisson, un morceau de fromage…et, dans certaines locatures, un verre de café agrémenté du demi-verre de gnole !

C’était la grande saison de la rénovation complète des bouchures ; on profitait des feux de débris pour « dâler » (griller superficiellement pour éviter les vers) les manches d’outils prélevés sur les branches les plus droites. S’il ne gelait pas, on en profitait pour arracher une petite provision de topinambours à l’aide du « bigot »…allez au musée d’Ygrande pour voir celui du grand-père d’Emile Guillaumin.

Par temps de neige ou de gel accentué, les hommes restaient à la ferme où les occupations ne manquaient pas : entretien des outils, remplacement des manches, confection de barrières, tressage de guides pour les attelages ou de câbles destinés à maintenir les charretées de foin. Régulièrement, on devait sortir un tombereau afin de transporter betteraves ou choux-raves depuis les silos jusqu’à la grange ; début mars, on « époussera » les pommes de terre de semence pour les mettre à germer, étalées dans une partie dégagée du fenil.

Après le déjeuner -on disait le goûter- il restait peu de temps à consacrer aux travaux extérieurs ; on devra rapidement rentrer pour le pansage du soir.

Mais, si la neige persistait, avec mon cousin Raymond, on entreprenait le piégeage des « couères » (les corbeaux) : le piège était dissimulé sous une fourchée de fumier, avec quelque appât sur la plaque fatale…pas si fatale que ça, puisque l’oiseau plus rusé que le prétend la fable se laissait rarement abuser, en ce qui concerne mes tentatives tout au moins…il arrivait même à subtiliser la proie sans déclencher le mécanisme ! Certains vauriens essayaient également de tuer au lance-pierre les moineaux qui nichaient dans le pailler ou même les gentilles mésanges.

En fin d’hiver, il faudra procéder à la toilette des prairies ; avant de « mettre les bêtes au pré », on curera les « osines », les rigoles pour en assurer une bonne irrigation.

Et re-tirer des seaux d’eau, re-jeter du foin depuis le « chafaud » dont la provision diminue rapidement, aller chercher deux ou trois brouettes de paille dont on arrache les bottes du tas avec les « bigots » : il y en avait plusieurs exemplaires, dont un d’au moins quatre mètres !

Un autre travail bien fastidieux : « râper » betteraves et choux-raves, c’est-à-dire en éliminer les petites racines et la terre à l’aide d’un vieux couteau à longue lame dont la halte d’une cuisine de l’armée lors de l’exode de juin 1940 renouvellera le stock… Afin de rompre la monotonie de cette tâche, M.Louis D. ouvrier occasionnel avait l’habitude de s’éclipser par la petite lucarne du fond de la grange et d’aller boire sa « fillette » de rouge » chez « La Lucie »…on faisait mine de ne rien voir …et puis ça lui permettait de s’activer ensuite à tourner le coupe-racines !

En fin de saison, après les vêlages, il fallait mettre les veaux à téter sous leur mère et veiller à ce qu’ils n’échangent pas leurs nourrices pour éviter des conflits ! Avant de mettre tout ce monde au pré, on avait l’habitude de tondre les vaches : une belle raie dégagée de part et d’autre de l’échine ainsi que la base de la queue…il y avait de bons « coiffeurs » et de moins patients !

Le fumier du soir n’était pas souvent sorti, à cause de la nuit noire ; on utilisait fréquemment le « falot » à pétrole pour entrer dans les écuries de cochons pas toutes éclairées, ou pour passer dans le « rouetton » et la cour de derrière.

On ne soupait (le dîner) jamais de bonne heure…restait alors peu de temps pour la veillée. Les femmes raccommodaient, tricotaient : voir la grand’mère Louise tricoter une chaussette avec quatre aiguilles me remplissait d’admiration ! Le grand-père lisait parfois Le Nouvelliste du Centre, essentiellement les cours des marchés, mon père restait incontestablement le meilleur spécialiste en paniers ou en resses d’osier, surtout les grands modèles ! Une fois par semaine, on se rassemblait sous la suspension pour trier les haricots rouges du repas du lendemain…et je me plongeais dans la lecture de quelque livre de la bibliothèque scolaire, du journal ou d’un album de Mickey quand on voulait bien oublier de m’expédier au lit.

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Et quand le gel trop profond ou la neige rendaient impossible tout travail extérieur, mon père se rendait dans son atelier du Champ de balais (vestige de celui du tonnelier?) pour y confectionner les manches d’outils, râteaux, échelles, surtout sa spécialité: les barrières, avec un modèle plus raffiné complété par trois lattes verticales et destiné aux champs proches de la ferme!

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Au fil des saisons

L’élevage

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Depuis longtemps déjà, la Race charolaise s’était imposée en Bourbonnais ; la race primitive, à la fois de travail, laitière et terminant ses jours en boucherie devait ressembler à une limousine de petite taille Transitant à partir du département de la Nièvre ; la nouvelle race s’était d’ailleurs fait connaître sous l’appellation de Nivernaise.

Mis au pré depuis le printemps, les bovins ayant de l’eau à leur disposition dans la « pêcherie », on aurait dû être tranquilles jusqu’en novembre, date à laquelle on commençait à les rentrer pour l’hiver. La réalité était tout autre : les mares tarissaient, il fallait transporter de l’eau vers les prés, dans des tonneaux sur une carriole : on n’avait pas encore de tonne ; un voisin venait prévenir qu’un troupeau avait sauté la bouchure du champ de légumes ou de céréales attenant. Ne parlons pas des changements de pâturage, quand il fallait traverser une grande partie de la commune ! Dans les temps de grande sécheresse, un apport de fourrage s’avérait parfois nécessaire en plein été ; j’ai même vu Louis Martin ébrancher des arbres, pour en faire brouter le feuillage !

Les vaches rentraient à l’étable pour la traite ; parfois, on devait garder la petite troupe quand on lui donnait à paître une parcelle d’herbe située dans le même champ qu’une autre culture.

Les cochons étaient invariablement sortis dans le pré du Bas Bleu, proche de la maison. Les lampes à infrarouge n’étaient pas connues ; lors de la naissance des porcelets, on réchauffait les plus fragiles derrière la cuisinière de la vieille maison

Comment vendait-on tous ces animaux…aux bouchers locaux, à la foire à Ainay ou à Cérilly ; des « marchands de bestiaux » passaient régulièrement à la ferme…Que de palabres, et toujours l’impression finale de s’être fait « rouler » !

A la maison, les porcs et les veaux étaient pesés dans le « perçon » (je n’ai pas trouvé l’équivalent de ce mot) placé sur la bascule.

Mais expliquez donc comment on parvenait à conduire à pied (à pattes) un troupeau de cinq ou six châtrons aux Foires d’Orval ; il fallait passer et repasser devant les animaux afin de « barrer » tous les chemins de traverse, le Canal à Clairins…et toutes les rues de Saint-Amand, car le « Plan de Foire » était situé au bout de la ville, vers la gare. N’évoquons pas la possibilité de ne pas trouver acquéreur et de les ramener au domaine!

Les labours

…et, avant les labours, le défrichage…l’oncle Louis Auclair m’a souvent décrit la tâche du « Chaveur de balais », arrachant les genêts à la pioche ; il en restait encore, dans les terres incultes près de Flambert ou de La Goutte.

Les chevaux avaient supplanté les bœufs, sans doute depuis peu : des photos de la famille Carreau et des jougs conservés au grenier nous le rappelaient. Les charrues étaient maintenant entièrement en métal, mais on utilisait toujours un buttoir aux manches faits de bois.

Fin octobre, il était difficile de faire « deux attelées » par jour, surtout quand il fallait partir aux Alouettes, l’attelée étant l’unité de temps du labour…un mot aussi des fréquents retards à la ferme : on n’avait pas toujours terminé avant l’arrivée de la mauvaise saison, c’est que Louis Martin était pointilleux quant à la rectitude du sillon et les chevaux devaient souvent reculer pour le recommencer en plus droit ! Au fait, à gauche, c’était « Dia », à droite « Ro », pour reculer, je ne me rappelle plus…Plus tard, un voisin lui expliquera « que le blé ne sait pas si les sillons sont droits ! ».

On labourait à planches bombées, séparées par des « roies » dans lesquelles s’écoulaient les eaux de pluie. S’il y avait suffisamment de pente, les planches étaient assez larges : des planches de 5 ou 6 tours, sinon, on réduisait le nombre de sillons pour rapprocher les roies. Deux planches transversales permettaient à l’équipage de tourner aux extrémités du champ ; elles servaient aussi à collecter les eaux de ruissellement, on les nommait « échaintes » (taude ou tôdre en Bourbonnais). Il fallait parfois creuser une ou deux roies transversales supplémentaires « les traversières » si l’irrigation s’avérait insuffisante.

NB : Dans les terres humides des Pâturaux des Tripier, il fallait tellement « bomber » les planches que la moisson s’apparentait à un saut d’obstacles quand il fallait traverser le champ avec la moissonneuse ou la carriole !

Aux Alouettes sableuses et bien sèches, le problème ne se posait pas, d’où l’acquisition de la Brabant double qu’on basculait en arrivant au bout du sillon et qui permettait un labour à plat.

Vous tenterez de déchiffrer le croquis ci-dessous, censé vous initier à ces techniques oubliées.

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Lorsqu’on devait remettre en culture un terrain reposé, mis en pacage depuis plusieurs années, et destiné le plus souvent à recevoir les légumes, on le « quadrillait » de deux labours perpendiculaires, le premier à l’automne, le second au printemps.

C’est là qu’on utilisait la plus grosse part de la « plote » de fumier, encore une longue et fastidieuse besogne ! Il fallait découper le tas en carrés à l’aide d’une sorte de scie afin de parvenir à en extraire des morceaux avec « la fourche à quatre cornes » ; le fumier était ensuite transporté vers le champ dans les tombereaux qu’on mettait en position demi-inclinée pour en faire tomber avec « le bigot » (voir à une journée d’hiver) de petits tas réguliers. On écartait ensuite ces tas à grosses fourchées et on repassait une dernière fois afin de l’émietter avant les labours…imaginez la main d’œuvre nécessaire à l’époque !

Rubrique Palonniers : pour tirer les charrues, le « cultivateur » (scarificateur)…etc., un attelage de deux chevaux était nécessaire, d’où l’utilisation de ce dispositif qui permettait même, par le truchement de la crémaillère, de soulager l’équipier le plus faible.

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Les semailles

Pratiquées au printemps :avoine d’été, « marchaisse » ou orge de printemps, parfois blé noir… mais surtout en automne :blé, seigle, avoine d’hiver…

La terre, fraîchement labourée, pouvait être ameublie à la herse, au rouleau :on utilisait déjà un gros rouleau métallique, mais la plupart des locatures étaient équipées de rouleaux en bois cerclés de fer

Autre épisode marquant -pour moi- le passage du trieur qu’on actionnait alors « à la manivelle ; les deux gros cylindres troués séparaient les grains de différents calibres qui tombaient dans des caisses alignées sous l’appareil.

Venait alors une opération troublante, la préparation des semences: on nettoyait une stalle de l’écurie des chevaux où l’on étalait le blé, puis on répandait dessus un liquide bleuâtre et on brassait le tout avec une pelle en bois. Comme pour les souvenirs de guerre ou le catéchisme, on ne demandait pas d’explications, d’où ma perplexité devant ce tas de grain peu ragoûtant! Plus tard, j’ai appris que cette addition de sulfate de cuivre était simplement destinée à le préserver des attaques de champignons provoquant sa pourriture.

Le grain trié et sulfaté était semé à la volée : on utilisait un semoir en bois, une simple caisse maintenue par une courroie de cuir passée sur l’épaule ; il n’y avait pas de semeur attitré à la ferme, mais dans bien des exploitations c’était « le Patron » qui officiait !

On utilisait peu d’engrais, par souci d’économie : superphosphate, scories, nitrate de soude…je me rappelle surtout la magnifique cigogne ornant les sacs de Potasse d’Alsace…les rendements en souffraient certainement…

De même, le renouvellement des semences s’effectuait avec parcimonie : on les achetait chez les Frères Vénuat, à Urçay, dont les entrepôts étaient desservis par le Canal de Berry ; on échangeait aussi des grains avec des fermes aux terres réputées plus fertiles.

D’autres soins seront nécessaires : curage des roies au buttoir, roulages de printemps, voire désherbage manuel pour éliminer les « rouembres » ou « herbes grenées », les « échardons »…

La « Saint Martin »

Au 11 novembre, avaient traditionnellement lieu les déménagements ; c’est resté pour moi un spectacle extraordinaire, comparable à celui de l’exode auquel nous avons assisté en juin 1940 ! Imaginez le déplacement d’une ferme entière : troupeaux, une part des récoltes, matériel, mobilier…il fallait mobiliser parents, amis, voisins : un immense défilé de carrioles, tombereaux, voitures à bestiaux, matériels divers…et prévoir les repas pour tout ce peuple !

Les légumes

Souvent installés sur des terrains pacagés pendant quelques années, ces cultures étaient l’objet de soins particuliers : labours, émiettage au cultivateur à la herse, fumures, engrais … Les pommes de terre : on plantait l’Abondance de Metz pour les cochons, l’Institut de Beauvais à chair jaune et la « Sterlingène », délicieuse mais sensible aux « maladies ». On les renouvelait à toutes petites doses, en utilisant plusieurs années les semences issues de la récolte ; au mois de février, on les sortait des silos, on « époussait » les germes, on partageait même en deux les plus gros tubercules et on les mettait à germer dans une partie dégagée du fenil. Elles furent encore longtemps plantées à la pioche : un trou, l’accompagnateur y dépose le plant, un autre trou dont la terre vient combler le précédent…et ainsi de suite. Plus tard, on creusera des sillons au « buttoir », où l’on placera les semences ; on les refermera de la même manière en écartant la butte séparant les rayons.

Les betteraves fourragères et les choux-raves étaient semés selon la même méthode, en petits poquets que l’on refermait avec le talon du sabot…je ne sais si le semoir mécanique est venu avant la guerre de 40…On « faisait venir » les graines des Etablissements Fabre qui ajoutaient en prime quelques petits sachets destinés au jardinier. Ces légumes seront « démariés » (éclaircis) à la main ; on repiquait des choux-raves qui reprenaient malgré la sécheresse de certains étés ! On semait une bonne quantité de haricots, des gros rouges, délicieux quoique difficiles à digérer…des raves entre les tas de grain après la moisson…des topinambours à la place desquels on mettra l’orge de printemps, ce qui donnera les traditionnelles gerbes panachées des tiges vertes de ce légume tenace !

Il faudra piocher (sarcler) plusieurs fois pour éliminer les mauvaises herbes : on ne connaissait pas le Roundup !…biner, butter les pommes de terre, les traiter contre les doryphores, la pompe Vermorel sur le dos.

La fenaison

Quand la première faucheuse mécanique est-elle arrivée à Beauregard …à coup sûr après 1934, en même temps qu’à la ferme voisine ; le grand-père Martin acheta une Deering chez Grenon, à St Amand, les Vilpreux s’équipèrent d’une McCormick. Il fallait affûter régulièrement les dents de la barre de coupe, lame de scie qu’on extrayait au bout de sa bielle ; on avait un stock de dents de remplacement à cause des taupinières et de leurs cailloux.

Je me souviens fort bien de l’ancien fauchage à la « daille » (la faux) ; même après l’intrusion de la faucheuse, on coupait ainsi le carré de luzerne du Champ des Châtaigniers, destiné aux vaches laitières ou aux lapins. Pour éviter le gaspillage dû au passage des roues de la machine, on a aussi longtemps nettoyé préalablement les échaintes et les bords des haies à la faux.

Le foin coupé formait des andains qu’on rassemblait, une fois séchés, en longues lignes « les rouleaux », longtemps au râteau en bois fabriqué maison, plus tard, à l’aide de la « râteleuse ». Son conducteur devait appuyer sur la pédale de relevage du mécanisme au moment précis, sinon les rouleaux prenaient une allure crénelée, du plus mauvais effet vis-à-vis des voisins !

Si l’herbe est trop humide ou qu’une averse survient, il va falloir « fener » (faner) à la fourche (à trois dents, pas la même que pour le fumier) ; la faneuse mécanique aux fourches articulées participera bientôt aux progrès de Beauregard.

Les rangées de foin sec sont alors entassées à la fourche en « trappes » de la hauteur d’un homme ; dans les prés humides, on les roulait en petits « cachons » (pouchons en Bourbonnais). Puis c’était le charriage vers le fenil ; les hommes tendaient le foin en vrac, à la fourchée, à celui resté sur la carriole et qui devait construire un édifice capable de résister aux secousses du chemin. Les « embouse-benot » (bons à rien, voir le parler braizois) ramassaient les brindilles qui traînaient : on ne devait pas gâcher ! Si le trajet s’avérait périlleux ou le chargement mal équilibré, on « câblait » l’ensemble en serrant à l’aide du treuil qui équipait les carrioles.

Le déchargement était tout aussi pénible. La charrette rentrée à reculons dans la grange, toujours à bout de bras, toujours à la fourche, le fourrage était hissé dans le fenil où une mini-chaîne d’ouvriers l’entassait avec soin, en ne négligeant aucun recoin…on salait parfois l’herbe de moindre qualité…tout ça dans la poussière, la sueur…et les brindilles qui collaient dans le cou !

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Les moissons

Avec un certain retard sur le matériel de fenaison, la moissonneuse-lieuse va bientôt faire son apparition au domaine ; le grand-père Tripier se chargera de maintenir la tradition de la récolte à la faux sur ses minuscules parcelles de Baignereau, faux différente de celle utilisée pour la fenaison et dont le manche portait un râteau à dents de bois.

Faucheur expérimenté, le grand-père connaissait deux techniques : la plus courante consistait à pousser le blé coupé, debout contre celui qui restait sur pied ; avec un « volant » (une faucille), il repassait pour en composer de petits faisceaux, les javelles. C’était souvent, autrefois, le travail des femmes du domaine. On allongeait alors sur le sol un lien de paille, le « Yan », pour former une gerbe de cinq ou six javelles. Sa seconde technique, c’était « le lancer » du blé derrière lui, en andains semblables à ceux formés par le foin, geste plus difficile, plus fatigant, mais plus noble !

Jusqu’à l’arrivée du tracteur, on continuera de nettoyer à la faux le pourtour des champs et une ou deux traversières, ce sont « les chemins » destinés à éviter que la machine écrase les récoltes. Ces travaux perpétueront « le bruit des marteaux sur les enclumettes, à l’aube, avant de partir aux champs »…on battait le fil de la lame, avant de l’affûter avec la pierre à aiguiser, que l’on portait à la ceinture dans le « couet » rempli d’eau.

Mais la période des grands spectacles commençait : on allait sortir la lieuse de la grange du Champ de Balais, la réviser de fond en comble, installer les « toiles » ; pour circuler sur les

chemins, on lui ajoutait deux petites roues latérales, l’avant-train se fixait en avant du « tablier » sur lequel on déposait les « rabatteurs » (les ailes) démontées.

Et à l’arrivée sur le lieu de travail, on recommençait en sens inverse : enlever les roues, changer l’avant-train de place, fixer les rabatteurs sur leur pivot, graisser au pistolet ou à la « burette ». On tendait les chaînes qui couraient de haut en bas pour entraîner les toiles, on garnissait la réserve de ficelle de sisal qui filait vers le noueur, guidée par des anneaux métalliques…ennuyeux, tout ça…bien pire sur le terrain…et recommencer, recommencer !

Revenons aux palonniers : pour atteler convenablement les trois percherons et répartir la tâche selon les forces en présence, il convenait de bien installer les crémaillères…revenir au croquis ?

Mon père conduisait les chevaux, marchant à pied, auprès de l’avant-train, son frère Roger grimpait aux commandes, sur le siège métallique ; j’y étais parfois admis, sur ses genoux…C’était parti !

Guider les chevaux ; imaginez le système : au départ, 2 brins de corde dans les mains, qui devaient se diviser chacun en 3 petites lanières passant dans les boucles des colliers pour être fixés à gauche et à droite des mors …et bien, ça marchait, alors qu’on s’emmêle les doigts pour attacher un sac poubelle !

Le blé tombait sur le tablier, d’où il était entraîné entre les deux toiles qui le montaient vers le lieur, mis au point depuis 1930 seulement ; là, des systèmes intrigants poussaient, poussaient, jusqu’à abaisser un petit levier qui déclenchait tout : le « noueur », les « fourches » …et la gerbe, liée serré, était expulsée sur le sol…enfin si tout se passait bien ! Le noueur connaissait parfois des ratés et, si le conducteur n’avait pas l’œil, c’est une douzaine de gerbes qu’il fallait reprendre à la main !…surveiller le lieur, ajuster les rabatteurs à la taille de la récolte, pousser avec une perche le grain qui refuse de suivre le bon chemin…le conducteur n’avait guère le loisir de m’accueillir !

Les chevaux n’étaient pas à la fête : la chaleur, la poussière, les « mouches-belines » et les taons…besoin d’une bonne toilette, emploi à forte dose de « l’émouchine » dont les traces zébraient la belle robe grise des percherons…j’oubliais l’avoine récompense!

Alors, venaient les ramasseurs de gerbes : elles étaient rassemblées en tas de treize « les teurziaux »…ou à vingt et un, selon le degré d’humidité de la paille…l’avoine était souvent dressée préalablement en « moyettes » (mouillettes ?), par huit, campées en forme de Tipi indien…pour activer le séchage ou pour faire gonfler les grains ?

Après quelques semaines, viendra la période des charriages ; nécessitant beaucoup de main d’œuvre et d’attelages, cette opération se faisait en collaboration avec le voisinage …encore la fête !

On commençait par la préparation des carrioles ; c’était l’unique occasion de graisser les essieux des roues…et d’utiliser cette « clé à essieux » dont il doit bien subsister quelques exemplaires de collection !…placer une « chèvre » sous la charrette, la soulever en tirant « les brancards », retirer la roue, enduire de graisse avec une palette de bois …pourquoi ces souvenirs précis ?

Le spécialiste ès-édification de gerbiers, c’était l’oncle Jean Vilpreux. Il s’enquérait de l’importance de la récolte, prenait des mesures et traçait l’ébauche des tas au moyen de cordeaux perpendiculaires…comme Louis Martin, il avait l’amour du travail bien fait, et n’allez surtout pas leur parler de temps perdu !

Grosses comme des maisons, les meules demandaient quelques soins pour leur construction. On disposait d’abord sur le sol les gerbes qui formaient la base, l’épi vers l’intérieur. Les rangs de gerbes s’élevaient peu à peu ; le secret de leur solidité était de rétrécir légèrement les dimensions des côtés les plus longs pour « affaîter » le tas, en pointe si la paille était courte, à plat pour les longues gerbes de seigle. On était amené à en construire au moins deux, un de chaque côté de l’emplacement réservé à la batteuse…la mode braizoise n’était pas aux « plongeons » circulaires !

Moins compliqué que pour le foin, le chargement des carrioles me permettait d’intervenir lors de l’empilage des gerbes du milieu, quoique, quand on revenait du Croisier par le chemin pentu et pierreux de l’église, il valait mieux que l’édifice soit équilibré ! On avait ajouté aux carrioles quatre « carrés », afin d’en élargir le plateau ; la récolte était tendue à la fourche et il n’était pas rare de trouver, sous la dernière couche d’un tas, quelque vipère engourdie ! Pour revenir des Alouettes ou du Croisier, il était nécessaire d’ajouter un cheval supplémentaire afin de grimper les côtes de La Martinière ou de l’Église…la seconde monture attendait patiemment, attachée à une barrière, l’arrivée du prochain convoi.

Mais, incontestablement, le clou des réjouissances, vu par les enfants, c’était la Batteuse ! Elle devait arriver, selon un calendrier immuable, plus exactement un calendrier inversé chaque année, les premiers devenant les derniers…et certains avaient l’œil, n’hésitant pas à menacer de « changer d’entreprise » si on trichait !

On y pensait longtemps à l’avance : nettoyer les greniers, acheter les briquettes de charbon pour la « chaudière », prévoir la nourriture -et la boisson – pour une vingtaine d’ouvriers…on battait en général un peu plus d’une journée. La veille, on faisait même la toilette de la cour, question d’amour propre : imaginez qu’on rapporte à la grand’mère Louise des propos tels que « Chez les Martin, les repas laissaient bien à désirer….ou bien : les Martin s’étaient pas fatigués pour nettoyer les abords » Important : il fallait aussi prévoir les baquets d’eau pour la vapeur et le sifflet !

Depuis l’invention du lieur, on n’attachait plus la paille à sa sortie de la batteuse avec un « Yan » de paille de seigle…J’ai pu connaître ce travail plus tard, pendant l’occupation, alors qu’on ne trouvait plus de ficelle ; la paille descendant sur la « grille » en bois était liée par 5 ou 6 ouvriers qui se succédaient devant ce matériel d’un autre âge…quand on avait préparé sa botte, il fallait reculer pour laisser la place…la fine plaisanterie consistait à mettre derrière, disons un des moins coléreux, un obstacle quelconque…et la victime se retrouvait sur les fesses, la paille volant en tous sens !

Le lieur, copie de celui de la moissonneuse, fut remplacé à la fin de la décennie par une presse qui confectionnait des bottes plus compactes.

La veille de ce jour tant attendu, je guettais le coup de sifflet annonçant la fin de la journée de battage, puis l’approche du convoi composé de la chaudière, de la batteuse, du lieur…avec une remorque accrochée derrière un de ces engins et qui contenait des tas d’accessoires :tuyaux, grilles, cric, niveau, masses, cales…et ce convoi tardait souvent, arrivant de nuit, après l’étape précédente.

Aligner batteuse, chaudière et lieur…soulever chaque roue au cric, niveler, caler, essayer les courroies que l’on rangeait ensuite pour éviter l’humidité nocturne…c’était la tâche supplémentaire des deux mécaniciens, noirs de charbon, de poussière et de cambouis…mais ça devait sûrement faire partie de leur personnage !

Au petit matin, les ouvriers arrivaient et passaient à la cuisine prendre un café, parfois arrosé de gnole…Grand’mère Louise n’appréciait pas les « dissolus » qui abusaient de son sucre !

Les rendements en blé avoisinaient les 12 quintaux à l’hectare, sauf quand revenait le tour du Champ de La Cornille ; les récoltes de seigle compensaient.

Une image oubliée, celle du tuyau d’où jaillissait la balle, soufflée par un gros ventilateur qui en amassait un énorme tas dans lequel on me lançait…les femmes gardaient de la balle d’avoine pour garnir les matelas…

Pour se faire une idée de la main d’œuvre nécessaire , et des provisions de bouche corollaires: 3 pour acheminer les gerbes, 1 sur la batteuse à couper les ficelles, 1 près du mécanicien pour « engrener », 1 à ratisser les menus autour du lieur, 1 qui tendait la paille, 2 ou 3 sur le pailler plus l’architecte, enfin 3 gaillards aux sacs…il en fallait 6 en plus au temps du liage manuel ! …et des victuailles : café matinal, soupe à neuf heures, déjeuner, le « quatre heures », souper…sans compter les abreuvages fréquents, assurés par « les femmes » qui faisaient la tournée des postes de travail…

Et, malgré cette surconsommation de vin, associée à la dangerosité de certaines tâches, aucun accident grave ne fut à déplorer lors des « Batteuses » au Domaine !

Imaginez ma déception quand le spectacle se terminait !

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NB. La batteuse à Beauregard ne fut jamais la « Grande Fête »…Mais, à la Croix Palais, 3 jours et presque 3 nuits durant, on « s’amusait » : chansons, anecdotes, riens…et un numéro de cirque traditionnel : « le Lion » coiffé d’une peau de lapin affrontait « le Dompteur », claquant du fouet à chevaux devant des spectateurs joyeux…et enivrés ; on peut inverser la place des deux adjectifs.

A cette série de lourds travaux, va succéder une période de calme relatif, matérialisée par cette Fête du Premier Dimanche de Septembre. Ce sera l’époque des mises à jour, de menues constructions ou réparations…

L’une d’elles m’a laissé un souvenir appuyé ; on devait recouvrir, en dur, le sol en terre battue d’une écurie de cochons…et je suis tombé, tête première, du haut d’une charretée de briques ! A ces occasions, on allait chercher du sable au Pont du Cher, à Meslon où les attelages peinaient à s’arracher du lit de la rivière.

Parfois, on obtenait, du garde-forestier l’achat à bas prix d’un pin en fin de vie, matière première intéressante pour la confection des grandes échelles utilisées lors de la confection des paillers ; il fallait emprunter un diable pour en transporter les troncs.

On cueillait les haricots, c’était certainement une culture « vivrière » importante à l’époque ; ils étaient mis à sécher sur des fils de fer tendus sous le Vieux Hangar. Leur battage permettait de renouer avec une méthode (pas tellement) oubliée ; on en mettait quelques poignées dans un grand sac (une bauge) qu’on aplatissait au fléau, les « écales » et les poussières étaient ensuite éliminées à l’aide de l’antique van…jusqu’à l’achat du tarare. Le tri final constituait souvent une occupation de veillée ; le surplus était vendu à la foire.

C’était aussi le moment de récolter le miel : les abeilles étaient le domaine réservé de l’oncle Roger qui avait remplacé les benots par des ruches modernes aux cadres déjà prêts à accueillir le nectar…on regrettait un peu le savoureux « miel en brèche » qu’on gardait un long moment dans la bouche. Je ne me souviens pas de « maladies », ni d’insectes prédateurs ; en hiver, on fournissait un complément de nourriture sous forme de bocaux de sirop de sucre posés à l’envers sur la « hausse » de la ruche.

La « taille » des ruches constituait une attraction impressionnante : l’oncle Roger enserrait manches et jambières avec des élastiques, se coiffait d’un chapeau de paille garni d’un voile qui lui protégeait le visage et enfilait ses gants. Ainsi équipé, il enfumait les abeilles, retirait une partie des cadres, les désoperculait et les mettait à égoutter sur tous les pots disponibles ; plus tard, il empruntera l’extracteur centrifuge de son cousin Joseph qui accélérait l’opération. Et je ne vous raconte pas quand les abeilles, réveillées trop tôt, parvenaient à découvrir le lieu où on avait indûment entreposé le fruit de leur travail !

La récolte des légumes

C’était alors le retour d’une période très prenante, avec, en perspective, les nouvelles semailles…

On commençait par l’arrachage des pommes de terre qui s’effectuait toujours à la pioche (la houe), les trois ouvriers avançant de concert. Les cousins Tripier firent l’acquisition d’une arracheuse mécanique que nous leur empruntions, en dépit du long trajet vers La Croix Palais. Tractée par deux chevaux, elle consistait en une sorte de large soc qui soulevait les tubercules ; une turbine, munie de fourches les précipitait alors vers la gauche de l’engin. Mais la terre suivait également et il fallait tirer les pommes de terre à l’écart, sauf à les voir recouvertes au passage suivant…d’où la présence d’une escouade d’ouvriers munis de râteaux qui intervenaient après l’arrachage de chaque rayon.

Contrairement à d’autres coutumes, on les laissait « se ressuyer » sur place deux ou trois jours, puis venait l’armée des ramasseurs et ramasseuses …on ne prélevait que les plus grosses, dans les énormes paniers de Louis Martin, puis le tombereau les transportait à la ferme où elles étaient ensilées près des paillers ou stockées dans la cave. A la fin, on passait récupérer les petits tubercules destinés à être rapidement utilisés pour la nourriture des porcs.

Il fallait enchaîner avec la récolte des betteraves fourragères et des choux-raves ; arrachées à la main, effeuillée par torsion, les premières étaient rassemblées en petits tas avant d’être transportées dans le Champ des Châtaigniers où leur silo s’allongeait le long de la route : son volume présageait de la satisfaction de l’appétit des bovins. Protégés par une bonne épaisseur de paille et de terre, les légumes pourront affronter le gel de l’hiver ; afin d’aérer le tas et d’en empêcher le pourrissement, on ménageait de petites cheminées garnies d’un bouchon de paille au sommet du silo, ce qui était du plus bel effet !

Réussite de Beauregard, les énormes choux-raves dont il fallait couper le collet au couteau et les citrouilles, encore plus volumineuses ; celles-ci avaient été semées au hasard dans les planches de betteraves, on en remplissait deux ou trois tombereaux…de petites vertes rondes, des plus plates de couleur orange et les belles « Rouges d’Étampes »

Toutes ces récoltes coïncidaient fréquemment avec le retour du mauvais temps et le passage des tombereaux dans les terres remuées s’avérait délicat : il fallait vider le chargement…sortir le véhicule de ce mauvais pas…et recommencer !

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Une anomalie

A Braize, tout un chacun possédait son petit lopin de vigne…et ce, depuis toujours ; en témoignent ces appellations « Les Vignes », « Le Vignot », « Le Vignoble »…j’ignorais ce que représentaient des vendanges ! Le grand-père Tripier avait bien hérité de quelques « échamiaux » aux Patouillards et à Verneuil, mais ce n’étaient plus que des friches…il faudra attendre les tickets de rationnement pour voir les premiers ceps plantés à Beauregard !

Et qu'est-ce qu'on va manger ?

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Une crémaillère et une petite marmite à trois pieds conservées dans le grenier témoignaient des cuissons au feu de cheminée, pas si lointaines que ça ! « On faisait bouillir la marmite » suspendue à la crémaillère ou le repas mijotait dans la casserole à pieds, en fonte noire épaisse, posée directement sur la braise.

Maintenant, la cuisinière « Rosières » servait à la fois de moyen de chauffage et de cuisson…on avait bien également conservé le potager, au feu de charbon de bois, placé autrefois dans l’embrasure de la fenêtre (gare à l’oxyde de carbone !), mais qu’on avait relégué dans la cour de derrière et qu’on utilisait parfois à la belle saison. De même, le vieux « poêle à deux marmites » chauffait la lessive en été.

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Depuis longtemps, pommes de terre, choux-raves, haricots secs…constituaient la base de l’alimentation en légumes, mais les légumes verts avaient déjà pris une place importante : petits pois et carottes deux ou trois fois par semaine au printemps, haricots verts, salades « à l’huile mélangée »…que sont devenus ces arômes de noix ou de colza ?…

Les arbres fruitiers étaient aussi très abondants et on allumait le four pour en faire sécher le surplus sur des claies qu’on appelait « sicles » : pommes tapées, prunes, « poirons », pêches…

Dans les jardins, les cassis, les groseilliers, les fraisiers…contribuent aussi à la confection de confitures ou des « petites gouttes familiales ».

On ne cultivait pas de vigne, mais les fruits abimés ou « de basse catégorie » étaient mis à fermenter pour la confection d’une eau de vie, disons un peu rugueuse !

Il n’y eut jamais de moutons à la ferme : le Bourbonnais n’appréciait guère la viande d’agneau qui était élevé pour sa laine ; un rouet et des quenouilles, rangés dans un grenier attestent de sa présence à Beauregard du temps des anciens propriétaires.

La volaille élevée à la maison était plus volontiers vendue que consommée sur place, le poulet rôti restant un plat de fête. Du porc sacrifié une fois l’an, on ne conserve qu’un ou deux rôtis, préférant le mettre au saloir « pour voir venir ».


Le pâté aux poires à la crème et légèrement poivré s’avère être l’ancêtre du pâté aux pommes de terre qui, parti de Montluçon, a conquis toute la Province au point d’en constituer le Plat National !

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Reconnaissons aussi que des rôtis, des grillades, des beefsteaks se prêtaient mal à attendre des travailleurs qui ne respectaient guère les horaires des repas. Tous les membres de la famille connaissaient la remarque sempiternelle de Joseph T : « Encore un poulet calciné ! ».

Au menu, reviennent souvent les pots-au- feu, la poule en vinaigrette, mais il faut accorder une mention spéciale à la soupe. Soupe aux poireaux, aux raves, toujours accompagnés de pommes de terre ; le bouillon servait à tremper le pain, préalablement coupé dans la soupière. Après cette solide nourriture, on pouvait encore en manger les légumes. Quand grand’mère revenait en retard d’une petite visite de courtoisie, elle avait une recette minute : « la soupe à l’eau de vaisselle »… de l’eau bouillie, salée, un oignon tourmenté par l’ébullition, deux ou trois cuillerées de crème…et hop, sur le pain…vite fait, (bien ?) fait ! Un délice de substitution à ces potages : une assiette de lait frais avec des châtaignes.

Les omelettes venaient en tête des plats économiques, moins coûteuses encore si on y ajoutait une moitié de pommes de terre, d’oignons, de fines herbes…la liste n’est pas close.

A l’étouffé : dans une cocotte au couvercle épais, le porc, les volailles, le bœuf, coupés en morceaux et mis à mijoter sur « le coin du feu » pendant des heures, le poêle restant perpétuellement allumé.

On n’aimait pas le goût fumé, comme bien des Bourbonnais, d’ailleurs. « Le sacrifice annuel du cochon a été longtemps un événement familial. Saigné à la gorge, flambé avec des bouchons de paille, pendu sur une échelle, vidé, on le laissait se raffermir pendant 24 heures. Une fois coupé, le porc est en grande partie salé : les morceaux sont disposés dans le saloir de grès, entre des lits de sel bien tassés. A la maison, on fabrique le boudin le premier jour, cuit dans la « marmite des cochons » ; le pâté de foie, le fromage de tête, les terrines occupent le second… » A l’occasion de ces tueries, on échange des cadeaux avec les voisins : du boudin, un rôti…en sachant pertinemment que le présent sera bientôt rendu!

Mais il y avait aussi les harengs salés, au gril sur les braises de la cuisinière dont on enlevait « quelques rondelles », les filets de harengs saurs avec des pommes de terre en salade (encore des patates !), une boîte de sardines à l’huile, en dépannage fréquent, une carpe farcie quand on pêchait l’étang de Pouveux…

…et puis les frites « en gros taillons », dans la poêle, les œufs durs, sur le plat, à l’étuvée avec des oignons et du vin rouge !

Mon père aimait bien une barre de chocolat Cémoi en souvenir du service militaire à Grenoble, qu’on achetait en grosses tablettes de 250 grammes.

Chaque cuisinière avait sa spécialité : le poulet au vin blanc de la tante Marie, la soupe aux raves de tante Fine( Moitié d’Jau !), le pâté à la viande de grand’mère Louise et les « tapissons » d’un peu partout !

Chaque matin, le petit déjeuner, c’était café noir ou au lait…mais pour le Premier de l’An, on avait droit au chocolat, pas du Banania délayé, mais des barres de chocolat noir, fondues dans une casserole auxquelles on ajoutait le lait…il y avait aussi la mystérieuse « Phosphatine Fallières » et le Phoscao qui devaient fortifier mes pattes un peu fragiles !

Savoir vivre à table ? Chaque homme sortait son couteau personnel de sa poche et on n’omettait pas de tracer une croix sous le « Pain de cinq livres » avant de l’entamer !

Quelques objets : le panier à salade qu’on secouait demi-circulairement pour essorer le contenu : toujours la force centrifuge ! un trépied multi-usages…des moulins et un saloir.

On a parlé conservation des aliments, sans évoquer le crucial problème des mouches : traitement préventif avec le garde-manger, curatif par le gobe-mouches…gluant et surprenant, le papier tue-mouches, d’un emploi courant à la ferme où il parvenait toujours à saisir quelque vêtement ou quelque mèche de cheveux rebelle !

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NB : à propos de cuisine spécialisée : les champignons, les haricots verts et l’horrible « fricassée » qu’on achetait au boucher (gras double, morceaux de boudin noir…et n’importe quoi) étaient frits à la poêle, avec ail, oignons ; la grand’mère Francine préférait une sauce « blanche » qui donnait à sa fricassée une allure macabre !

En courses

En 1936, la Commune comptait 362 habitants ; trois épiceries et deux cafés y étaient installés, presque tous des commerces mixtes.

A la place de l’actuel Restaurant, le Café Regrain présentait aussi un petit rayon d’épicerie et le gendre, M. Trompas, s’occupait d’une sorte « d’atelier à tout faire ».

La Lucie Dollet exploitait, à deux pas de là, un café-tabac-journaux : Le Nouvelliste, l’Echo de la Mode…

A Baignereau, la Mère Lomet tenait une minuscule boutique d’épicerie ; le Père Lomet occupait le poste de cantonnier communal ( ?).

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Mais nous effectuions surtout nos achats chez Mme Rousset, également couturière à ses heures. Son rayon d’épicerie était installé au fond de la salle-cuisine : un comptoir en bois, garni de boîtes et de bocaux de friandises, contre les murs d’angle, des rayons où étaient entassés tous les produits imaginables, et la réserve attenante débordait aussi de caisses, fûts, bidons…

On y achetait à peu près tout au détail, aussi bien le sucre que la moutarde ou l’huile que certaines clientes demandaient par quelque cent grammes, dans l’espoir de gagner, chaque fois, un petit supplément ! J’imagine toujours les bocaux de bonbons, inclinés vers le client, comme pour nous tenter encore d’avantage, friandises que Mme Rousset pesait dans des petits « pochons de papier beige » sur sa Balance Roberval.

On se servait aussi aux Economats du Centre, chez M. Martinet, face à l’église de St Bonnet, chez Mme Mariet dans la Grand-rue à Ainay, un « Bazar » très bien achalandé, parfois aux Nouvelles Galeries, Place Carrée à St Amand.

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Nos bouchers préférés étaient M. Monmasson, à St Bonnet, dont le saucisson cuit était renommé, et M.Niot, à Ainay…il faut reconnaître que leurs étals n’avaient rien à envier à ceux que l’on retrouve maintenant au cours de voyages dans des régions dites « sous développées » ! On allait au pain chez Pierron, à Coust, une vieille habitude familiale, ou bien à St Bonnet, jamais à la Coop qui y existait déjà.

Grand’mère Louise était une fidèle cliente de M. Falgère, marchand de vêtements et de tissus, installé à l’angle de la Place Paul Guignard à Ainay ; dans les parages, on trouvait aussi les magasins Bouguin (cycles, vaisselle…) et notre plombier-spéléologue en puits, M. Dubouis…plus chic, les habits de La Belle Jardinière, Rue Porte-Mutin à St Amand…Une particularité, quoique fréquente à cette époque : le recours à un tailleur, un cousin, M. Martin de Saulzais le Potier, soit pour un costume « de cérémonie » ou pour me faire retailler « quelque chose » dans une ancienne relique…

Les grands-parents portaient les poulets à la tante Adélaïde, volaillère au Pont à Ainay ; un autre parent, Léon Bourdin, était notre maçon ; le matériel agricole provenait des Etablissements Grenon à St Amand, le charron des Récollets réparait les charrettes et on menait ferrer les chevaux, soit chez Paul Lacroix à Coust ou M.Berthomier, à St Bonnet.

Mais on recevait aussi la visite de marchands ambulants : M.Pierron passait chaque semaine et on lui achetait une provision de pains de cinq livres : « avec un bon par-dessus », réclamait grand’mère !. On le réglait chaque mois « à la taille », système difficile à expliquer : on payait selon le nombre d’encoches faites sur deux baguettes jumelles que le boulanger « effaçait » avec son couteau après paiement, chacun conservant un exemplaire de la taille.

L’épicier de St Bonnet, M. Martinet et M.Chagnon, le « Caïffa » d’Urçay, assuraient aussi leur tournée hebdomadaire, complétant ainsi mes collections d’images du café Gilbert ou du chocolat Cémoi, et offrant les belles assiettes-primes dont les légendes faisaient notre joie. Leurs véhicules : pas de souvenirs…mais je me rappelle la petite voiture à capote-et à cheval- du boulanger Pierron.

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Nous visitaient également les deux bouchers, de même qu’en hiver, un poissonnier, dont seuls les harengs salés « en caques » ou frais étaient appréciés, et un coquetier qui passait « ramasser » les œufs.

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Je ne voudrais pas quitter le domaine des prix sans présenter une facture du vin consommé durant le trimestre d’été 1939 à La Croix Palais ; elle renseigne quant au prix du litre et apporte la confirmation de la réputation de ses fermiers :838 litres pour 2157 francs, soit 2,57 F/litre.

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D’autres données certaines : la ferme de La Chasserie, célèbre pour son vignoble, a été achetée 64 000 francs en 1939 (environ 10 hectares)…à cette même date, la propriété des Hirondelles (environ 6 hectares plus un joli taillis, à l’époque) avait été proposée pour 80 000 francs au grand-père Martin…

Parlons de sous !

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Je me souviens surtout de ce magnifique billet de 500 francs, essentiellement de la douceur de son papier ; quant aux pièces, on les convertissait en sous …c’est sans doute ce souvenir qui oblige papy à convertir les euros en nouveaux francs, afin de revenir aux anciens francs !

Ainsi, 5 centimes valaient un sou, le caramel mou de 10 centimes était un caramel à « deux sous » ; les trois petites pièces étaient percées …celles de 50 centimes ou 10 sous, un franc ou 20 sous étaient jaunes et pleines. Puis venaient les grosses pièces de « cent sous », 10 et 20 francs…toutes seront retirées après la défaite de 1940 et fondues .

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Artisans... et assimilés ?

Le plus sollicité, le maréchal-ferrant- -forgeron-mécanicien : on avait recours à Paul Lacroix à Coust et surtout à M.Berthomier à St Bonnet, mais uniquement quand Louis Martin avait épuisé tous ses trésors d’imagination habituels et que le cheval risquait de se retrouver « sabots nus ».

« Lève ta patte! » et le brave Bijou obéissait, laissant docilement sa patte sur la jambe pliée de son maître pendant toute la durée de l’opération. Il fallait enlever le fer usé, poser le nouveau chauffé au rouge sur le sabot en développant des nuages de fumée de corne roussie, l’ajuster, le fixer avec de longs clous qu’on recourbait sur le sabot et fignoler le tout à la râpe…Tout ça sur fond de forge rougeoyante dont on me laissait parfois actionner le soufflet.

On lui confiait bien d’autres travaux : « recharger » les pioches, les socs de charrue, affûter une reille, réparer quelque petit matériel agricole, parfois même une bicyclette…Le voir activer son soufflet de forge et déclencher une éruption d’étincelles me remplissait d’admiration et de crainte !

Celui que les enfants visitaient le plus souvent après le catéchisme, le Père Mathiaud, sabotier près du monument aux morts : il façonnait ses sabots de A à Z, avec une préférence pour ses petites chaussures de poupée qui ornent encore nos buffets ; on retournait le voir pour une petite touche à la cuillère afin que le pouce-orteil trouve enfin sa place. Mais, en fait, ce qui nous attirait le plus, c’était la distribution d’une pincée de petites pointes qui concluait notre passage. Outre son savoir-faire, le Père Mathiaud était renommé pour ses engagements politiques qui le voyaient troquer tarière et gouge pour le porte-plume, dans le but de rédiger quelque manifeste vengeur !

Le bourrelier était aussi notre oncle Gustave Chabrol, le tonitruant contradicteur politique de son beau-frère Louis Auclair ; aussi chaque visite comportait-elle un repas, dans la petite salle contiguë à son échoppe, remplie de l’odeur des cuirs et de la poix…Il confectionnait son aiguillée : le fil était passé dans la poix, puis roulé avec la paume de la main sur sa cuisse que protégeait un vaste tablier de toile noire. Son atelier a disparu de la Place du Faubourg à Ainay le Château, comme tant d’autres.

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J’ai perdu le nom du charron ; il habitait aux Récollets, près d’un autre artisan familial, notre cousin-maçon L.Bourdin. C’est lui qui avait confectionné la splendide Voiture à bestiaux, orgueil de la ferme, on lui confiait surtout des tâches courantes, tels le resserrage d’une roue de carriole à la veille des charriages, la réparation du coffre d’un tombereau…on se rappelle tous la merveilleuse couleur « Bleu-tombereau ! »

Le bouilleur de cru, M.Delaume; curieusement son alambic s’installait, peu de temps après les vendanges, tout près de l’école…peut-être est-ce l’élément déclencheur à ce goût prononcé pour la petite gnole du matin chez certains anciens élèves ? On lui portait à distiller le tonneau rempli des fruits divers accumulés durant l’été et dont la production ne laisse guère de millésime remarqué !

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Assimilé ! Le Père Lomet, cantonnier célèbre à divers titres dans Braize ! Nommé par le Maire, le cantonnier, responsable des chemins secondaires, ne connaissait guère de répit ; armé de sa massette au manche de houx, il savait, d’un coup sec et bien ajusté, casser les cailloux qu’il dressait en tas réguliers le long des chemins. Les prestations étaient un impôt destiné à l’entretien des chemins communaux. Elles pouvaient consister en fourniture ou en transport de pierres parfois prélevées lors des labours, ou en entretien de fossés, d’accotements…

Le garde-champêtre, lui aussi nommé par le Maire, et assermenté…il fait entre autres respecter les arrêtés municipaux et peut dresser certaines contraventions. Il bat aussi le tambour pour annoncer les avis municipaux « AVIS ! »…mais existait-il toujours un garde-champêtre à Braize à cette époque ?

Terreurs de la Marie Martin et du grand-père Tripier : les gendarmes qui venaient parfois faire une routinière tournée à bicyclette, depuis le chef-lieu de canton à Cérilly ; il faut dire aussi qu’on conservait le souvenir de leur rôle de porteurs de mauvaises nouvelles, il y avait si peu de temps !

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Tiens, voilà le facteur, à bicyclette, lui aussi et dont la tournée de Braize ne se terminait guère avant la fin de la soirée : Verneuil, La Queudre, Thizais, Le Champ de la Chapelle…pour peu que l’un de ces habitants ait la bonne idée de s’abonner à un quotidien ! Lettres, journaux, mandats, colis…rien ne lui était épargné !

Et puis, on s’écrivait souvent : pour une invitation, ci-dessous pour annoncer une réussite… au Premier de l’An, un nombre incroyable de petites cartes de Bonne Année ; on entretenait un courrier régulier avec La Croix Palais, avec les Auclair à Houilles…

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Il n’y avait pas de cabine téléphonique dans la commune, on devait se rendre au bureau de poste de St Bonnet et je ne pense pas que la famille y eût souvent recours. En cas d’urgence, on pouvait également envoyer un télégramme, toujours depuis le bureau de poste qui employait, en retour, un « porteur de dépêches »…Pas de compte en banque, pas de chéquier, « des sous » qu’on rangeait avec soin; pour payer la commande de graines au magasin Fabre, on joignait, dans l’enveloppe un mandat-lettre…il y avait aussi le mandat-carte que le facteur vous réglait si la somme était peu importante.

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Des visites !

La Commune connaissait régulièrement le passage de ceux qu’on nommera « visiteurs ».
Visite la plus fréquente, sinon la plus souhaitée, celle des bohémiens (on disait les comédiens). Ils s’installaient avec leur roulotte, souvent par paire ou trio, soit à l’angle de la Rue des Oies, ou près de l’école. On ne parlait pas de Roms, ni de Gitans : pour nous, c’étaient des Voleurs de poules ! Mais on n’osait pas tellement leur faire mauvaise figure : ces Diseuses de Bonne Aventure auraient pu nous jeter quelque maléfice ! Alors, on leur achetait un peu de dentelle, un napperon, un panier s’il s’agissait d’une famille connue…grand’mère leur donnait parfois un vêtement usagé qu’on retrouvait étalé sur une bouchure, après leur départ. Un souvenir : celui de l’odeur du hérisson grillé…au fait, grillait-on seulement des hérissons ?

Celui que je préférais : « l’Italien », le colporteur ; je n’ai jamais compris qu’un si petit coffre puisse faire surgir tant de trésors…il est vrai qu’avec tous ces tiroirs ! Décrire son contenu relève de l’impossible : du peigne au crayon de papier, du carnet au couteau à 6 usages, et s’il avait fait de bonnes affaires, quelque chose pour moi ! Plus rarement, le colporteur à roulotte dont une paroi s’ouvrait pour découvrir un étal digne de la grotte d’Ali Baba.

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Grand-mère n’aimait guère confier ses casseroles, couteaux et ciseaux au rétameur-aiguiseur, de crainte de ne pas tout revoir…reconnaissons que, parfois, une pièce s’avérait introuvable et, comme il ne délivrait aucun reçu ?…Au fait, savez-vous ce qu’est une « pierre-aigusouère »,à Beauregard, il y en avait une à l’angle du vieil escalier, et nous veillons à maintenir l’usage de celle de Baignereau.

Autre visite, sans doute annuelle, celle du « Rouland », un vagabond venu on ne sait d’où et qui effrayait fort le petit Braizois que j’étais. Il avait droit à son souper et à une nuit au chafaud, dans la grange. Dans certaines fermes, on lui retirait provisoirement sa boîte d’allumettes, de crainte d’un incendie …et si, en connaissance de cause, il en avait eu 2 boîtes ?

« Peaux de lapins ! Peaux ! » Ça, c’était le marchand de peaux de lapins ; on pouvait faire jouer la concurrence entre celui de St Bonnet et la Dynastie « Pas de Chance », originaire de St Amand…aux dires de la Mère Louise, « ils ne valaient pas mieux l’un que l’autre ! »…quand même, j’avais une préférence pour celui à la trompette !
Pour conserver les peaux, on les tendait sur une branche d’osier vert ; dans mon tableau de prix, vous ne trouverez aucune trace de leur cours, par contre, Mamie se souvient que dans les années 1945, on pouvait en tirer jusqu’à 20 centimes !

L’état des chaises de la vieille maison laisse à supposer qu’on n’avait pas souvent recours aux services du rempailleur ; mais je me souviens de certains rafistolages maison au moyen de « rauches » (roseaux), prélevées vers les Etangs Roux.

De même, on se gardait bien de dépenser des sous pour renouveler la réserve de balais nécessaires à l’entretien des bâtiments ou des cours : tout un chacun savait confectionner les « balais de boule » en usage… « On » prétend que je mens : il est possible que cuisine et chambres aient bénéficié d’un meilleur traitement …pas certain au début de la décennie.

Comment on se déplaçait

J’ai vu « goudronner » la route d’Ainay le Château, au début de la décennie et celle de Saint Bonnet, peu avant 1940 ; la portion allant de la limite du département du Cher aux Carrières de Coust attendra même la fin de la guerre. Le reste du réseau communal était constitué de chemins empierrés, telle la « Route de Charenton », ou recouverts d’herbe défoncée par les deux ornières creusées par les roues des charrettes. Une partie de leur entretien étant assuré par « les prestations » dues par les agriculteurs.

On allait à pied aux champs, au lavoir ou chez les voisins (les visites de la Louise !)…pour les transports : la brouette (linge, légumes à la ferme, luzerne des lapins), les tombereaux et les carrioles…

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Et vers la ville ?…on empruntait d’abord la bicyclette : grand-père possédait un cycle majestueux, d’un autre âge, aux poignées de guidon surélevées qui lui assuraient une certaine prestance ; Louis Martin avait une robuste « Terrot » marron, achetée chez Bouguin, place Paul Guignard à Ainay et équipée d’un petit siège fixé au cadre qui m’était destiné. La bicyclette pour dames de ma mère voyait sa roue arrière protégée par deux filets « en éventail » destinés à empêcher toute intrusion de la robe dans les rayons ! De même, les pinces à vélo étaient obligatoires, sauf à retrouver les jambières du pantalon coincées entre chaîne et pédalier, obligatoires également la trousse de dépannage fixée sous la selle, les rustines et le tube de « dissolution », sans oublier la plaque métallique à votre nom sur la potence du guidon ! Et ne devait-on pas s’acquitter de quelque taxe oubliée ? Tout ça pour une bicyclette ! Plus tard, j’eus droit à mon premier petit vélo à 3 roues arrière qui me conduisit tête baissée sur la porte de la cuisinière !

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Récente et luxueuse, la « voiture à bestiaux » à la peinture rutilante, œuvre du charron d’Ainay le Château : elle permettait de transporter porcs, veaux, voire une vache et sa progéniture vers les champs de foire d’Ainay, Cérilly ou St Amand.

Enfin, pour les déplacements familiaux, il y avait « la petite voiture » moins chatoyante que celle des animaux, tirée par La Grise ou La Poulette, dociles Percheronnes, mais peu douées pour le trot…là encore, les voisins avec la demi-sang « Polka » nous dépassaient ! On l’utilisait pour aller en visite dans la famille, à l’occasion des fêtes surtout, ou chez le médecin… Le déplacement à Saint Amand constituait une aventure : on dételait à l’Hôtel Saint Jean, non loin de la Place du Marché. Le véhicule était garé dans la cour et la jument attachée dans la grande écurie où elle avait droit à sa ration d’avoine. Y avait-il un coût à ce garage ; ou bien peut-être suffisait-il de prendre le repas de midi au restaurant de l’hôtel ?

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Et s’il fallait partir de nuit, vers la Foire des Orval, ou rentrer tard d’une Fête à La Croix Palais ? On mettait une lanterne garnie d’une bougie à l’avant, une plus petite à l’arrière, munie d’un verre rouge…suffisant pour être repéré, quant à éclairer sa route : on se fiait plutôt à l’instinct du cheval ! Le meilleur reste à venir avec le vélo qui ne connaissait pas encore la dynamo ; on fixait à l’avant du guidon une lampe à acétylène : quelques fragments de carbure dans le réservoir inférieur, de l’eau au-dessus, régler le goutte à goutte (sinon tout va exploser !)…il suffit de présenter une flamme au centre du réflecteur…et la lumière jaillit…peut-être ? Si on ajoute que des braconniers utilisaient ce procédé pour pêcher, carbure et eau mélangés dans une bouteille hermétiquement fermée qu’on lançait dans l’étang telle une grenade, vous imaginez la terreur de papy !

Il y avait sans doute déjà les taxis Maurer et Greuzat à St Bonnet, ce dernier assurant quotidiennement le transport du courrier de la poste à la gare.

Pour terminer, prenons le train : dès l’âge de six ans, on devait régulièrement me conduire à Montluçon « pour mes lunettes ». Première étape à bicyclette jusqu’à Urçay où on laissait nos montures dans le hangar du Café de la Gare, puis l’omnibus vers la Grande Ville…environ une demi-heure : Vallon ! Magnette ! Les Trillers ! La Ville Gozet ! Montluçon…tout le monde descend !

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Il y eut beaucoup mieux : en 1938, j’accompagnai mes grands-parents Martin en Banlieue parisienne à Houilles, chez les oncles Auclair. C’est là, qu’en Gare d’Orsay (le Musée actuel), je vis avec stupeur le bagage de grand’mère Louise, happé par l’escalier mécanique, monter tout seul au niveau supérieur…nous découvrions le progrès ! Le billet aller et retour pour Montluçon était constitué d’un petit ticket en carton dont on conservait une partie pour revenir…mais pour Houilles, il fallait un billet manuscrit qu’on présentait au transit de Paris (Orsay et St Lazare) et dont le double au carbone restait en gare d’Urçay…tout ça pour dire quels souvenirs j’en ai gardés…mais aussi combien les contacts humains avaient de l’importance à cette époque.

Quelques tâches exclusivement féminines !

Dd lait…du beurre…du fromage…

Dans les années 1930, à Beauregard, le cheptel ne comprenait plus que des bovins de race charolaise ; aussi, la « récolte » de lait s’avérait plutôt maigre…Il y avait bien eu la tentative d’introduire une « Normande » issue d’un élevage renommé, pour remplacer un veau mort-né. L’échange s’avéra plus délicat que prévu : on mit donc à téter la nouvelle venue, après avoir apprivoisé la future maman par quelque gourmandise…stupéfaction devant cette progéniture rouge et blanche…ruades…et le grand-père fut tout heureux de s’en tirer avec deux côtes cassées ! Finalement, la Normande ne fut pas la laitière escomptée : peut-être craignait-elle de s’attirer les foudres des autochtones Charolaises ?

On « tirait » (trayait) bien sûr les vaches à la main : « on », c’était grand’mère Louise ou maman Marie ; une voisine de Baignereau employait même le terme « sigoter » tellement sa production était minime : une sigote, c’est un ruisselet toujours à sec. Combien élevait-on de « vaches à veau », donc de laitières…une dizaine, sans doute. A la belle saison, elles passaient la journée au pré ; on les rentrait pour la traite, en les laissant paître les accotements pendant le trajet, peu dérangées à cette époque par la circulation automobile.

Le lait était récupéré dans le « pot tirouet », le pot à traire (on tirait le lait !)…je n’arrive plus à me représenter la scène : on me dit que la trayeuse était assise sur un petit banc, un trépied…chez nous, je la revois plutôt accroupie ? Tenir le pot d’une main, presser les trayons de l’autre, comment synchroniser tout ça…on m’a fait essayer, en vain. Rassemblé ensuite dans la « pote », un seau avec un bec verseur, le lait sera réparti dans des pots en grès de quatre litres. Il aura été préalablement été filtré dans la « coulouère », une passoire garnie d’un fin grillage métallique, pour éliminer les fétus de paille ou les fragments de bouse séchée que la vache projetait généreusement à grands coups de queue, sans épargner le visage de la « patronne » ! Consommé frais, ce lait remplaçait souvent la soupe, en été, agrémenté d’une tranche de pain que l’on émiettait dans l’assiette.

Au début de la décennie, on ne possédait pas d’écrémeuse ; matin et soir-travail noble- la grand’mère récupérait, à l’aide d’une cuillère à soupe, la crème « qui était montée sur le pot »…le « caillé » resté au fond sera transformé en fromage. Une bonne part de la crème était utilisée en cuisine, notamment pour « la soupe à l’eau de vaisselle » boudée par l’oncle Roger ! Les voisins étaient encore de plus gros consommateurs, avec les sauces blanches de grand’mère Francine !

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Une fois par semaine on « battait le beurre » : je m’y collais souvent ; on utilisait alors la baratte représentée ci-contre, un peu comme si on pilait le mil ! En bonne lune, on en voyait le bout en trente minutes, mais les lunes n’étaient pas souvent favorables ; il fallait alors insister, voire chauffer le récipient…une vraie galère qui mettait grand’mère Louise en transes…et les colères de « La Louise » !

On n’avait pas non plus de ces jolis moules à beurre, ornés d’une fleur ou d’une vache ; il fallait confectionner des mottes oblongues d’une demi-livre que l’on formait en cinq ou six coups de battoir et que l’on décorait avec la pointe du couteau …il existait une variante en forme de rouleau. On me dit qu’il fallait aussi pétrir, laver, peser avec la balance à plateaux…

La confection des « fromages de vache » n’était guère plus moderne : on mettait d’abord le lait caillé à égoutter dans une coupe garnie d’un linge fin qu’on rechargeait plusieurs fois ; l’égouttage se poursuivait dans une coupe plus basse et l’affinage se terminait sur un « virouet » (un séchoir). Le fromage était alors entouré d’une petite bande de tissu afin d’éviter qu’il ne s’écrase ; grand’mère n’a jamais utilisé de présure qui, d’après elle, leur donnait un goût trop acide…mais qui aurait sans doute corrigé leur forme, disons un peu aplatie…

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On les consommait frais, avec beaucoup de crème… fondus, avec des croûtons comme pour le plat savoyard du même nom…ou secs, mais ils arrivaient rarement au terme de cette ultime étape : le bon fromage de vache, aux veines crémeuses, parfois grouillantes d’asticots.
Le « petit lait » et la « beurrée », résidus de la fabrication des fromages et du beurre, étaient récupérés dans le baquet de la boulangerie, pour les cochons.

Plus tard, viendra l’écrémeuse dont il faudra parfaitement maîtriser la vitesse de rotation…et, là aussi, la crème va monter et le petit lait sortir par le tuyau le plus bas…je n’ai assimilé les notions de densité et de force centrifuge que bien plus tard et cette part de mystère me convenait parfaitement ! Quant à la conservation de ces produits …en hiver, aucun problème, mais la production hivernale restait insignifiante. Par temps de canicule, il fallait se débrouiller : il y avait le garde-manger dans la cave, la « sagière – « chasière en Bourbonnais », héritage des anciens occupants, au frais dans le jardin de derrière près du mur de la cave ; souvent ce frais-humide faisait limoner les fromages. En désespoir de cause, il arrivait de descendre ces produits dans le puits, suspendus dans un panier-cageot au bout d’une corde à veau.

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Il ne me reste pas de souvenirs de vente importante de ces produits laitiers, mais parfois, face aux sollicitations de quelque cliente, on cédait le dernier fromage (presque) sec, au grand dam de l’oncle Roger, sans aucun doute « le plus difficile à nourrir de la tribu ! »

La lessive

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La lessiveuse chauffait sur la cuisinière ; en été, parfois, on allumait le vieux « poêle à deux marmites » dans la cour de derrière…peut-être une fois par semaine ?…moins souvent sans doute, avec une interruption entre Noël et le « Premier de l’An » pour conjurer quelque mauvais sort.

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Je ne me souviens pas d’avoir vu utiliser la cendre de bois ; on employait de la lessive conditionnée en sachets de papier : la réclame’ Saponite, la bonne lessive’ me revient en mémoire…Draps, serviettes de toilette, torchons…empilés sur la plaque à trous placée au fond de la lessiveuse, étaient maintenus par un cercle métallique muni de crochets (visible sur la photo).

Pendant l’ébullition, l’eau remontait en geyser par le champignon, arrosant régulièrement le linge et je ne manquais pas de soulever discrètement le couvercle pour observer ce mystérieux phénomène …le « lessis » était utilisé pour nettoyer le carrelage de la cuisine !

Il fallait ensuite charger la brouette pour aller achever le rinçage à la « pêcherie » proche de l’école, à celle de Gallerands ou au lavoir communal. A l’origine, ce lavoir n’était qu’une simple réserve sur le ruisseau des Mailleries que l’on franchissait à gué sur le chemin venant de l’église ; les laveuses utilisaient alors une planche bien lisse, plongée dans l’eau, pour brosser et battre le linge. Plus tard, le bassin fut cimenté, avec des bords inclinés remplaçant la planche à laver et une clôture grillagée le séparant de la partie abreuvoir. En hiver, on avait l’autorisation d’utiliser le « Cros chaud » situé dans le pré, en aval de la digue de l’Etang de La Pacaudière dont l’eau ne gelait jamais. Cette coutume, peut-être survivance des anciens lavoirs banals, ne fut sans doute pas maintenue par les successeurs de M.Maurel, le propriétaire de l’époque.

LA LESSIVE

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NB : Papy a toujours souhaité que l’ancien lavoir soit restauré, en mémoire de toutes ces laveuses qui devaient pousser leur brouette dans les chemins pierreux de l’église avant de battre, essorer, rincer durant des heures…en souvenir également de tous ces lieux de rencontre et d’échanges !

Les médias à Beauregard

C’est un terme que l’on ne connaissait pas, et pas seulement nous ; la T.S.F ne viendra qu’après 1940 et journaux et livres ne grevaient guère le budget de la ferme.

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Grand-père achetait Le Nouvelliste du Centre, un hebdomadaire du vendredi imprimé à St Amand, surtout en vue de se tenir au courant du cours des foires et marchés ; ma mère aimait lire l’Echo de la Mode, ce qui n’était pas du goût de sa belle-mère, et j’avais eu en étrennes un abonnement d’un an au Journal de Mickey…

En 1939, mon cousin Raymond fut abonné à l’Illustration, un magasine qui forçait mon admiration.

A la même époque, on fit également, à l’autre Beauregard, l’acquisition d’un phonographe qu’on remontait à la manivelle et qui usait rapidement ses aiguilles grinçantes…là, c’en était trop !

J’oubliais le plus important : depuis 1930 et son séjour à Pau, Marie Gozard possédait le Brownie-Kodak, à la base de tous nos documents de cette décennie.

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…ET LES SPECTACLES A BRAIZE !

En dehors des fêtes, il arrivait-rarement-qu’une « Troupe » se produise au village, dans la salle du Café Regrain, ce qui augure déjà de l’importance du public !

Je me souviens vaguement d’avoir assisté à l’un de ces spectacles, le soir, après dîner ; seuls trois artistes me restent en mémoire…peut-être n’y en avait-il pas plus ?

D’abord un singe : que savait-il faire ?…aucune idée, sauf sa fâcheuse manie de s’agripper à tout, à mes vêtements en particulier !

Un clown aussi, dont je n’ai gardé que l’image de la chute de son numéro : de retentissantes flatulences, concrétisées par des nuages de farine qui jaillissaient de son pantalon bouffant… mais les spectateurs appréciaient.

Le meilleur restait à venir : une Danseuse orientale, drapée dans une ample cape blanche, en fait un fantôme, en moins effrayant. Elle évoluait sur une table et la danse ne me captivait guère…mais soudain, la lanterne magique s’allumait et la robe rosissait, devenait papillon multicolore, et se terminait en aurore boréale…j’exagère sans doute ! La séance devait se clore sur une « Grande Tombola » dont nous revînmes bredouilles !

J’ai découvert mon premier lion aux Foires d’Orval à St Amand, aux prises avec un Terrible Dompteur en veste rouge à brandebourgs, armé d’un énorme pistolet, qui tirait des cartouches à blanc et claquait du fouet aux oreilles de ce pauvre animal…depuis, j’ai toujours souhaité que le lion dévore le dompteur ou que le lapin poursuive le chasseur !

Si on chantait…Si on chantait…

On n’écoutait pas la radio, le grand-père avait abandonné le piston, Roger Martin grattait vainement un banjo, et pourtant, ma mère chantait ! Elle connaissait le répertoire complet des artistes en vogue, Tino Rossi bien sûr, mais aussi de moins célèbres…Sa chanson préférée : Le Chaland qui passe et elle ne se contentait pas de quelques lignes, fredonnant le texte entier ! Comment les apprenait-elle …au bal… près des chanteurs publics dans les foires… par le bouche à oreille ; on se recopiait les textes.

A l’école, rien que du classique : Gentil Coquelicot, En passant par la Lorraine…pas d’Hymne régional, mais à la ville voisine, on apprenait Joli Bourbonnais ; nous, on entonnait La Marseillaise, obligatoire pour « la Division du Certificat ».

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Un auteur anonyme composa la complainte du « Crime des Rivaux » qui affola la région dans les années 1935 !

Mais le pire souvenir de mon enfance restera ce «Plus beau Refrain de la VIE », chanson officielle du Tour de France 1937 que notre jeune voisin jouait sur sa trompette les soirs de cet été là, quelques mois avant sa brutale disparition !

Fêtes, distractions, visites et autres réjouissances

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Pour une famille qui avait exploité, il y a peu, un parquet-salon, on ne peut pas prétendre qu’on était très «Fêtes » ; mon père préférait occuper son dimanche après-midi à visiter champs et troupeaux. Mais on respectait la tradition des « trois fêtes à Braize », ainsi que des principales cérémonies religieuses.

On a souvent évoqué les anciens bals à Baignerault, à la maison Auclair actuelle où Ernest Brunet animait la soirée au son de sa vielle, coutume perpétuée à la petite salle du café Regrain au bourg, et, d’après notre ancien voisin, Louis, une fermette-café (dansant) toute proche du site !

Il y avait les invitations qu’on se rendait entre voisins ou parents : les Tripier à la Croix Palais, Joseph Demet aux Etangs Jacques, la tante Adélaïde au Pont, l’oncle Chabrol à Ainay…avec une mention spéciale pour la famille Auclair en vacances au Champ de Balais et les cousins Vilpreux de l’autre Beauregard. Là, les formalités devaient être scrupuleusement respectées, grand’mère n’acceptant que les invitations formulées conjointement par la Francine et le « Patron » !

En hiver, ces invitations concernaient surtout les veillées : les hommes y jouaient à « la manille coinchée » en buvant quelques canons ; les femmes qui n’avaient pas oublié leur tricot évoquaient les événements locaux ou familiaux : je n’ai pas le souvenir de disputes « politiques »…les médias ignoraient Braize, à moins que ce fut le contraire. Je m’intéressais aux jeux de cartes, osant même quelque conseil, ou bien je jouais à « la bataille » avec une grand’mère, une voisine ou une tante…l’une d’elles était incollable sur les histoires de « meneux de loups » ou de « chasse gayère »…allez donc rentrer tranquille après ça ! Une autre me contait inlassablement les Trois Laveuses ou Moitié d’Jau (un jau, c’est un coq)

Et cette soirée se terminait par un réveillon qui n’avait rien de pantagruélique : charcuterie, fromage, pâté aux pommes de terre, « feuilleté », galette aux pommes, brioche…selon la spécialité de la cuisinière : ah, les bonnes brioches de la Fifine !

Fêtes religieuse et païennes étaient intimement mêlées ; on fêtait bien plus « le Premier de l’An » au caractère profane que Noël. « Bonne Année ! Bonne Santé » restait la formule traditionnelle…pas de « Meilleurs vœux » trop bourgeois… Est-ce qu’on n’a pas oublié de rendre visite à un tel ? Sacrilège…Là aussi, il y avait les spécialités de « petites gouttes » aux cerises, à la prune, aux coings…l’addition pouvait être détonante !

Les présents du Père Janvier étaient sans commune mesure avec les piles de paquets entassées autour du sapin actuel…un livre, quelques « crottes de marquis », des oranges ; un abonnement au Journal de Mickey, un Meccano, un cheval à roulettes me paraissaient des cadeaux d’exception !

Janvier : le 17, par tous les temps, on célébrait St Antoine ; le 3 février, St Blaise patron des cultivateurs ne valait qu’une messe. Grand’mère Louise était la championne des « bignons » aux raisins secs (les beignets) à l’occasion du Mardi-Gras ou des Brandons, le dimanche suivant ; on ignorait les crêpes de La Chandeleur.

Le cycle de Pâques s’ouvrait sur le Dimanche des Rameaux : c’était la messe la plus fréquentée de l’année. Chaque foyer était représenté car on tenait à faire bénir un bouquet de buis souvent volumineux, destiné à protéger les activités de la maison; il en fallait aussi pour les grand’mères …peut-être que tous ces bouquets ne transitaient pas par l’église ?

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Les étables, les écuries avaient droit à leur brin de rameau ; dans certaines maisons, on en plaçait un dans le bénitier surmontant le lit…et on n’omettait pas d’en conserver un, plus important, pour « jeter de l’eau bénite » en cas de décès dans l’année. On assistait au « Chemin de Croix » à l’église de Braize et la Fête de Pâques, avec sa coutume des œufs teints à la pelure d’oignon ou au vin rouge, rassemblait les familles.
Le dimanche suivant, c’était « La Fête à la Violette.

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Pentecôte… La Fête Dieu, le dimanche suivant voyait les petites filles jeter des pétales de fleurs, tandis que M. le Curé sortait solennellement en procession, protégé sous son dais. Puis venaient la Bonne Dame du 15 août, jour de fête à St Bonnet, et son lendemain, la St Roch avec le Grand Prix Paul Guignard à Ainay le Château et l’anniversaire de Papy…mais en ce temps, on rassemblait moins les copains !

Troisième du triptyque braizois, la Fête du Premier dimanche de septembre marquait la pause entre les rudes travaux d’été et les futures récoltes d’automne.

Le troisième lundi d’octobre nous conduisait aux Foires d’Orval à Saint Amand : les manèges, les loteries, les étals de pain d’épices, les montreurs d’animaux féroces, les chanteurs de rues…quels souvenirs !

A l’occasion de la Toussaint et du Jour des Morts, toutes les familles se rendaient au cimetière pour fleurir leurs tombes ; le commerce des chrysanthèmes ne touchait pas encore la campagne, encore que M. Dusseau, jardinier aux Hirondelles ait sans doute déjà développé cette culture ?

Enfin, même si les adultes ne devaient pas se considérer à la fête, les travaux à fort besoin de main d’œuvre, tels que les charriages des céréales, les batteuses, même la récolte des pommes de terre me paraissent avoir leur place parmi cette énumération…les repas de batteuse à La Croix Palais en constituant l’apothéose !

NB : ma mère conservait des pétales de fleurs de la Fête Dieu qu’elle jetait dans le foyer pour éloigner l’orage.

Même si on ne fêtait guère Noël, il y avait toujours quelque membre de la famille présent à la « Messe de Minuit » de St Bonnet..

Les vêtements

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J’aimerais mentionner quelque costume du Folklore bourbonnais, berrichon à défaut…rien, pas même dans les vieux placards muraux !

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Les hommes portaient un gilet de travail noir, un pantalon de coutil à rayures, en hiver « un paletot de velours », une casquette ; le grand-père se coiffait d’un feutre noir pour les grandes occasions. La peau de chèvre, d’abord apanage des seuls propriétaires, fut le premier manteau masculin.

Pour « s’occuper des cochons » ou râper les légumes, on se protégeait souvent avec un tablier fait d’un vieux sac de jute. Comme chaussures, le plus souvent, une paire de sabots fortement cloutés (des clous à quatre têtes), garnis d’une tresse de foin en guise de semelle ; en hiver, on ajoutait des chaussons.

Presque toujours en deuil de quelque parent, les femmes portaient des robes ou des jupes assez longues, foncées ou à petites fleurs et par-dessus, souvent une blouse ou un tablier. On se les rappelle âgées avant l’âge…et pourtant, quand on revoit une des photos des mariages à l’époque de leur jeunesse, comme on les trouve élégantes; leurs époux n’étaient pas en reste …l’habit faisait-il le moine? Aucun souvenir de leurs chapeaux, à part celui-ci : Marie Martin lors d’une cérémonie en 1934.

Et pour moi…si je devais les résumer en quelques mots, ce serait « les habits du dimanche » : quand on m’achetait un vêtement, une paire de chaussures un peu plus plaisants, c’était pour les économiser jusqu’à ce qu’ils me boudinent ou m’écrasent les pieds !

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Sinon, je me rappelle mes blouses d’écolier, mon béret, mes galoches pour les glissades et les sabots qui « m’écouronnaient » régulièrement les chevilles… et des chevilles blessées, ça fait mal !

En ce qui concerne ma coupe de cheveux, j’accompagnais mon père chez Grambert, le coiffeur-cafetier à St Bonnet ; mais pour un « rafraîchissement », l’oncle Jean Vilpreux arrangeait ça à la tondeuse « Bien dégagé, demandait la tante Francine » recommandation superflue ; il avait acquis ce talent supplémentaire dans les tranchées de 14-18.

On n’a pas parlé toilette…bien sûr, pas de salle d’eau : tout se passait dans la cuisine ou dans une chambre pour une « grande toilette » des parents. Le nécessaire de toilette : une cuvette émaillée bleue, un coin de « débarbouilloir » (serviette de toilette) pour se laver, le reste étant destiné au séchage, du savon qui faisait également office de shampoing. Les hommes ne se rasaient que le dimanche: une serviette éponge aurait accroché une barbe trop fournie…d’où l’utilisation du tissu « nid-d’abeilles » plus léger ! Pour se laver les pieds, on voyait grand avec la bassine à linge; quant aux eaux usées (terme inusité alors), elles étaient balancées dans la cour ! En hiver, les hommes mettaient un caleçon long; à la belle saison, on préférait s’aérer ; certains aussi, parmi les plus âgés, ajoutaient une ceinture de flanelle.Les produits de beauté étaient rares à la ferme et d’un usage peu fréquent; la “Poudre de riz” était sans doute le plus courant: une jolie boîte cylindrique, une houppette en duvet de cygne…je me rappelle aussi les petits pots de cette “Crème Simon” utilisée par grand-mère Louise, sans doute pour garder un teint clair…la mode n’était pas au bronzage! Plutôt soin de la peau que produit de beauté, on faisait un large usage de la “Crème Mysca”, pour soigner engelures ou crevasses…et puis on avait une réserve de “Papier d’Arménie” dont les vapeurs devaient purifier les pièces humides de Beauregard.

Souvenir peut-être du service militaire ou de la guerre, les guêtres en cuir qu’on laçait sur les jambières du pantalon, faisant office de botte

Et si on veut devenir encore plus riche ?

On ne « grattait » pas encore, le PMU était inconnu à Braize…il y avait bien les loteries « à tous les coups l’on gagne ! » aux Foires d’Orval, les primes accumulées à l’épicerie, les images du café Gilbert. Rien à voir donc avec les Solitaire, les Dédé ou autres Millionnaire que l’on règle à coups de carte bleue !

Très rarement, un membre de la famille tentait sa chance à la Loterie Nationale. Oh, « un dixième » seulement, car le billet entier coûtait trop cher ; déjà, les aïeux de Papy devaient connaître le même coefficient de chance que lui, quand, plus tard, il découvrirait les joies du Tiercé !

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Parlait-on politique ?

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Une décennie historique : 1934, l’extrême droite et Les Croix de Feu…1936, le Front Populaire…1939, la Déclaration de Guerre !

Seul ce dernier événement est resté très présent en ma mémoire ; nous jouions sous les noyers du Champ de Balais quand l’oncle Roger est venu nous annoncer cette funeste nouvelle. Les deux frères devaient partir le lendemain matin, les deux juments également, pour tracter les canons face aux tanks du maréchal Rommel…la ferme de Beauregard n’existait plus !

Auparavant, on avait connu le soulagement, en 1938, après les « accords de Munich », puis la peur panique, à l’été 1939, de voir surgir les affiches aux drapeaux en couleurs, bleu-blanc-rouge, annonçant la mobilisation générale !

Les émeutes parisiennes de 1934, et leurs prolongements à Clermont ou Limoges me rappellent également le grand-père Martin fermant soigneusement les barrières de la cour pour empêcher l’intrusion des Croix de Feu du Colonel de la Roque et, en 1936, l’oncle Henri, militaire de carrière avait été envoyé à Vierzon pour y « contrôler » les grévistes.

Comment votaient les hommes de la maison ?

Les seuls « débats politiques » dont je me souviens opposaient, au Champ de Balais, les oncles Auclair et Chabrol, et leurs éclats de voix me faisaient alors craindre le pire…on brandissait même le fusil de chasse ! Du pur Marcel Pagnol, au terme d’un repas pantagruélique et fort arrosé !
Finalement, ma rubrique est aussi mince que l’intérêt porté alors à ce sujet par la famille !

Le Communisme agraire et le Syndicalisme agricole n’avaient encore guère franchi la Forêt de Tronçais depuis le Bocage…seuls quelque deux ou trois bûcherons faisaient figure de précurseurs à Braize…imaginez la rumeur !

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La religion

Le brave Curé Besson avait succédé au terrible Abbé Matichard ! Parents et grands-parents fréquentaient la messe des grandes fêtes religieuses, aussi celles accompagnant les « Fêtes à Braize » ; on m’a inscrit au catéchisme…Notre famille n’était pas vraiment pratiquante, mais on était à la campagne, en 1930 … on faisait comme tout un chacun. Depuis, je n’ai jamais pu faire la part entre un vrai sentiment religieux et les réminiscences des anciennes croyances, peurs ou superstitions encore très présentes dans cette région proche du Berry.

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Le catéchisme, commencé à Braize, avec Mlle Amélie, se poursuivit à St Bonnet : le communiant devait se choisir « un Camarade de Communion » auprès duquel il défilait lors de la Cérémonie…sur la photo ci-contre, on remarque les cadeaux habituels en cette circonstance : livre de messe, chapelet, médaille, brassard, sans oublier les images-souvenirs distribuées à la famille.

De mariages, je n’ai conservé que le souvenir de celui – mémorable – de 1934, à l’autre ferme de Beauregard, et encore, une seule image m’en reste : celle de la petite écurie dont on tapissait les murs, les râteliers et les auges de draps blancs, en vue du banquet.

Deux décès m’avaient profondément marqué – le mot est trop faible – celui de Joseph, noyé dans le puits à l’hiver 1938, après avoir glissé sur le verglas… et aussi l’oncle Jean Demet, absent au repas de midi et que nous avions retrouvé, agonisant près de la bouchure qu’il élaguait…Je me souviens surtout des miroirs voilés, des volets fermés, de l’horloge arrêtée pour marquer l’heure du décès et des voisins, parents ou amis qui venaient, à la tombée de la nuit « jeter de l’eau bénite » au défunt.

Autre événement marquant dans la petite tête de l’enfant de Braize que j’étais : en 1938 ou 1939, après le Front Populaire, à la veille de la Guerre qu’on sentait proche, deux « Missionnaires » vinrent animer des cérémonies à l’Eglise de St Bonnet : des chants, des guirlandes de bougies qui s’allumaient à la queue leu leu, grâce à un cordon enflammé, une Croix de Mission qu’on inaugurait à l’entrée du bourg…et toute la Paroisse qui participait !

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IL ETAIT UN P’TIT HOMME…qui allait à la chasse…

…Et bien non, on n’allait pas à la chasse ! Pas de permis à Beauregard, pas de braconniers non plus ; il existait bien à la ferme un vieux fusil, encore un souvenir de la famille Carreau : une arme redoutable qu’on chargeait par le canon, avec une forte dose de poudre noire. Noir aussi le nuage de fumée et énorme le recul qui ne permirent jamais à l’oncle Roger d’atteindre sa cible…Ma mère se refusait à tout sacrifice dans la basse-cour et mon père, à la fin de sa vie, laissera poules et lapins vivre en paix à la ferme !

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Par contre, l’oncle Auclair profitait de ses vacances au Champ de Balais pour jouer à Tartarin…le fourbe se spécialisait surtout dans la chasse à l’affût, sans fatigue, à la lisière du Taillis de Flambert. Il y attendait, à la tombée de la nuit, les gentils lapins de garenne qui sortaient, tel Panpan, déguster « les fleurs de trèfle » bien meilleures que les feuilles ! C’est lui aussi qui fut chargé de sacrifier ma pie apprivoisée soupçonnée de larcins dans les couvées de Grand’mère…

Mais le Nemrod familial était sans conteste Joseph T, auteur de massacres aux lisières de La Croix Palais…l’imprudent en conservait même les trophées dans ses greniers !

On testait nos talents au « tire-pierres »…je me réjouis maintenant au souvenir de mes constants échecs ! Ne le répétez à personne : nos principales cibles d’entraînement étaient ces isolateurs, en haut des « poteaux électriques »

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AU MOULIN DES RIVAUX

Aller au Moulin des Rivaux, quelle délicieuse randonnée ! Il fallait atteler une des juments au tombereau, y charger les sacs de seigle et d’orge pour la farine des cochons, parfois un peu de blé pour les pâtisseries. On empruntait le chemin herbeux des Quatre Vents, le carrefour du Passage ; la roue du moulin était installée sur un bief de la Sologne. A l’intérieur, tout n’était que bruit et remue-ménage, bruit continu des courroies et des trémies, même les planchers étaient agités d’un perpétuel tremblement…La farine nous était restituée au bout d’un énorme tuyau ; on récupérait aussi le son pour les lapins.

Plus tard, pendant l’occupation allemande et ses réquisitions, cette promenade deviendra une expédition guerrière et nocturne.

Les dictons de Beauregard

On n’avait pas eu le loisir, ni l’imagination et l’expérience des anciens pour en créer de nouveaux : il fallait se satisfaire des banalités courantes : « A la Saint Vincent…etc. »

Alors, on va quand même citer le préféré de Louis Martin : « Quand la lune tourne au beau, Trois jours après, c’est de l’eau. » ce qui signifie, en clair que s’il fait beau temps le jour de la Nouvelle Lune, on aura de la pluie dans trois jours…vous vérifierez !

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Beaucoup plus couleur locale et plein de bon sens : « Quand on entend le train à Urçay, c’est signe de mauvais temps. » Et du temps des locomotives à vapeur, un train ça faisait du bruit ! Sage remarque, la Gare d’Urçay est située à l’ouest de Beauregard.

Il y avait aussi : Année de foin…Année de rien… (Trop d’humidité).

On semait les premières laitues à la Saint Antoine du 17 janvier, les fleurs le Jeudi Saint et mon père ne mettait jamais un haricot en terre avant le 10 mai.

Notre voisin, Louis, avait aussi les siens ; on mentionnera surtout celui du « Vent des Rameaux » qu’il nous répétait chaque année…le vent du jour des Rameaux est censé nous indiquer le temps jusqu’au début novembre, plus exactement, le vent qui souffle entre 10 et 11 heures, pendant la messe, ou, encore mieux, durant les anciennes processions qu’on organisait, ce matin-là, pour attirer la clémence des cieux…d’après lui, également, on doit planter les pommes de terre le 19 mars, jour de la Saint Joseph…et puis, quand l’épine blanche (l’aubépine) met ses feuilles, il faut craindre des gelées tardives.

Comment on se soignait ?

Si vous voulez avoir recours au rebouteux, à une panseuse ou à des prières, passez directement à la rubrique suivante.

Avant de faire appel au docteur, on disposait de toute une batterie de remèdes sous la main : d’abord les tisanes : tilleul, feuille de ronce, queue de cerise…dans la cour de derrière, poussaient en permanence camomille, menthe ou bourrache…Grosse consommation d’aspirine ! Pour chasser rhumes ou grippes, il y avait aussi une série de cataplasmes : une mixture de farine de lin et d’eau qu’on faisait chauffer (trop) et qu’on étalait sur un linge, on pliait le tout avant de l’appliquer sur le dos du patient ; une version destinée à l’adulte comportait l’ajout de farine de moutarde…sans parler de l’ouate thermogène dont le bonhomme de la réclame, crachant le feu, donne une idée des ravages provoqués sur l’épiderme ! Dernier recours local : les ventouses (voir le croquis)

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a/ mettre un peu de coton hydrophile dans le verre

b/ enflammer, patienter quelques secondes

c/ appliquer horizontalement sur la peau…les « mauvais sangs » sont aspirés !

Si on rate le b/ et qu’on applique verticalement la ventouse, le coton vient roussir votre dos…plus tard, j’ai connu ce privilège en servant de cobaye à une soignante bénévole…

J’oublie le sinapisme Rigollot et les sangsues (Mamie se souvient des sangsues nageant dans un bocal posé sur la cheminée…pire encore si une de ces bestioles était accrochée à l’oreille de la tante à qui on rendait visite !)

On ne téléphonait pas au médecin, soit on allait le prévenir à bicyclette, soit on se rendait à son cabinet…et on attendait son tour. Notre médecin était le Docteur Vayssier à Ainay, non loin de la maison de Michou d’Auber : une entrée impressionnante, avec au fond, une porte ornée de vitraux multicolores et qui faisait tintinnabuler des petites baguettes de verre. Mme Vayssier gérait l’attente des patients « Votre fils semble aimer la lecture ?…et maman, voulant soigner (aussi) son vocabulaire : Oh oui, il adore lecturer ! »

Après, on passait à la Pharmacie Gaillard, près de la Porte de l’Horloge. Pour la vue, il fallait se rendre à Montluçon chez l’oculiste Giscard (oui !) et l’opticien Schmitt.

Mon problème, à l’âge d’entrer à l’école, c’était mes pattes fragiles ! Mes parents me conduisaient « aux rayons » chez le Docteur Montalescot, spécialiste des maladies osseuses, une belle demeure, avec une grande serre exotique, près de la ferme des Goûts, à l’arrivée au Brethon.

L’oncle Jean Demet collectionnait les flacons vides de la Névralgésine dont il abusait et grand’mère Louise soignait ses migraines avec trois gouttes d’éther sur un sucre (éléphants roses garantis)…ou un « bangon » imprégné d’eau sédative entourant la tête, tel un œuf de Pâques.

J’oubliais : outre les Rayons, le médecin me prescrivait une cure d’Huile de foie de Morue !!!

…pour apprendre à marcher, cette ingénieuse « selle-courante », datant de 1937 …J’osais voir en elle une invention de l’oncle Jean Vilpreux…hélas, internet me fit déchanter :

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« Pour apprendre à marcher aux enfants, la chaise coulante ou chaise roulante ou chaise courante. Elle était plutôt coulissante ; l’enfant placé dans une lunette pouvait sans danger s’essayer à marcher en avant ou à reculer, soutenu par un cadre de bois monté sur des pieds. »

Croyances…superstitions…sorcellerie

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Le Berry était si proche : on ne pouvait pas y échapper…mais à des degrés divers selon les ascendances familiales. La branche Martin y était peu sensible, alors que certains oncles ou tantes Demet en étaient profondément imprégnés ! L’une d’elles était une cliente assidue de « Tête de Diable » à la fois j’teu ou leveu de sorts dans une commune voisine ; les « maléficiés » étaient surtout des animaux, mais mon père, pourtant peu concerné par ces croyances, m’a plusieurs fois conté la mésaventure d’un cultivateur de Saint Mamet, victime d’une grave blessure à l’œil en chargeant une carriole d’épine noire, suite à l’intervention d’un « maléficiant » !

Nombreuses subsistaient les superstitions : la plus marquante concerne le pain qu’on ne devait pas placer à l’envers sur la table (ce qui devait constituer un symbole de reniement du Christ ?)…de même, avant d’entamer « le pain de cinq livres », on ne manquait pas de tracer une croix sous la miche avec la pointe du couteau. Le corbeau était un oiseau de malheur et gare à celui qui entendait le hululement de la chouette (la nuit uniquement). Casser un miroir, ouvrir un parapluie à l’intérieur de la maison, croiser deux couteaux sur la table ne sont pas de meilleur augure ! Par contre, se marier un lundi ou un mardi apportera bonheur au couple, l’un pour la fortune, le second pour la santé…et chacun sait que le premier chant du coucou remplit vos poches, à condition d’y avoir déjà au moins une petite pièce…et que votre vœu se réalisera si vous l’avez formulé avant la disparition de l’étoile filante ! On ne faisait ni couture, ni lessive entre Noël et l’Epiphanie (quelle chance !)…pas de mariage en mai « le mois des oisons » qui apporterait des rejetons débiles !

Et puis, une petite place pour la Tante Marie et ses histoires de Meneux de loups qui rassemblaient leur meute près de La Croix Petouillon ou de Chasse Gayère, sans oublier ces maudits feux follets que j’appréhendais de rencontrer dans le cimetière où on se rendait souvent fort tard, en revenant du lavoir !

Meneux de loups, chasse gayère : internet vous expliquera (versions multiples!) ; à l’époque, les premiers ne me semblaient sûrement pas animés de bonnes intentions…quant à cette chasse …une poursuite infernale au-dessus de nos têtes dans de sombres nuées ?…Tante Marie restait plutôt évasive dans ses commentaires !

Le Rebouteux le plus proche habitait de l’autre côté de la forêt…Mais nous avions à Braize une Panseuse dont la renommée s’étendait bien au-delà des limites de la commune et, quand les soins du docteur Vayssier joints aux rayons ultra-violets du docteur Montalescot au Brethon s’avérèrent inopérants, on dut se résoudre à me conduire chez la brave dame (à moins que ce fut le processus inverse)… On avait aussi des Guérisseurs familiaux, surtout pour les animaux…un oncle pansait contre « le mal de dents », mais il prenait bien soin de préciser qu’en contrepartie, la dent risquait de se « gâter ». Ces soins ne devaient pas être rétribués, sauf à se révéler inefficaces…tout juste suggérait-on de glisser quelque billet dans la poche du praticien, alors qu’il détournait son regard, toujours en vue d’une parfaite réussite.

Ne croyez pourtant pas que ces croyances ou ces pratiques étaient uniquement l’apanage des « laboureurs » ; dans le fond du placard de la « grande chambre », étaient empilés de nombreux Traités de sorcellerie, abandonnés là par les anciens propriétaires et qui provoquaient ma perplexité.

Mais il y avait aussi « La Roue Fulgurante », remarquable ouvrage de science fiction qui voyait ce prototype des soucoupes volantes aspirer les populations des grandes capitales…avec une heureuse conclusion, inspirée des thèmes de la réincarnation hindouiste ! Comment voulez-vous que Papy ne fût pas mort de peur au retour des veillées d’hiver ?

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Jean-Jacques Martin