Retour en haut

La classe unique à Braize

La salle de classe qui, à l'origine, était installée au rez de chaussée de l'école construite en 1869 occupait un nouveau local attenant à l'ancien bâtiment à étage qui abritait maintenant la Mairie et le logement de l'institutrice.
A la rentrée de 1936, environ 35 élèves devaient la fréquenter; ceux-ci venaient le plus souvent à pied, même les enfants des hameaux de Verneuil, de Thizais ou de La Mimonerie qui pouvaient apporter leur nourriture, réchauffée sur le poêle à bois.

La classe unique, mixte, occupait une vaste pièce, bien éclairée par cinq fenêtres dont trois donnaient sur le jardin de la maîtresse ; il me semble que les murs étaient peints d'une couleur vert d'eau ? Quatre rangées de pupitres y faisaient face à autant de tableaux noirs, un pour chaque cours ; on disait alors petite division pour les cours préparatoire et élémentaire, le cours moyen et la « classe du certificat » composant la grande division. Des estrades couraient tout au long du mur, sous les tableaux ; une plus large supportait la table-bureau de l'institutrice. Dans un angle, à droite, une petite armoire vitrée abritait nos livres de bibliothèque ; les manuels scolaires et quelque matériel destiné « aux expériences » étaient rangés dans un haut placard'encastré au milieu du mur du fond sur lequel étaient également fixés une longue étagère et, en-dessous, les porte-manteaux pour les élèves. Mais, après l'arrivée de la nouvelle maîtresse, nos vêtements furent pendus sous un préau, même en hiver !

Plusieurs cartes restaient accrochées aux murs en permanence, notamment La France en Relief que nous connaissions finalement par coeur.
Tables et bancs des pupitres étaient attachés ; les plus anciens, très rudimentaires, bas et usés par soixante ans - ou plus - de services étaient destinés à la petite division ; les élèves du cours moyen avaient droit à des meubles plus récents, avec un plateau peint en noir ; le menuisier de Saint Bonnet confectionna ceux des grands pendant ma scolarité, leurs bancs faits de quatre lattes étroites martyrisaient les fesses ! Sur chaque tablette, une rainure destinée aux crayons et porte-plume et deux trous pour les encriers en porcelaine : les « Grands » utilisaient l'encre violette ou rouge pour les corrections, ce qui assurait des doigts magnifiquement bariolés sans parler de nos mouchoirs !

La journée de classe durait de 8h30 à 11h30 puis de 13h30 à 16h30 ; on ne connaissait pas les études surveillées, mais au dernier trimestre, les élèves du certificat restaient jusqu'à 18h pour des entraînements « poussés », résultats obligent ! Nous avions congé jeudi et dimanche ; les grandes vacances s'étalaient du 14 juillet au 1er octobre une dizaine de jours à Noël et à Pâques, pas de coupure d'automne ni pour les sports d'hiver. On entrait à l'école à 6 ans et on y restait jusqu'à 14 ans ; à cet âge, presque tous commençaient à travailler tous même : je ne me souviens pas d'entrée au lycée durant cette décennie !

Pas de notoires différences vestimentaires : pantalon court, hiver compris, blouse noire ou grise, béret, sabots ou galoches pour les garçons. Les filles portaient une blouse également, mais avec quelques fantaisies de couleurs : noire à liseré rouge, carreaux, motifs divers souvent une blouse à petits carreaux pour les maîtresses
Cour et préaux restent inchangés en 2008 ; les quatre gros tilleuls qui limitaient nos courses ont disparu ainsi que les « cabinets » avec leur porte à mi-hauteur si indiscrète ! L'année de ma rentrée, les récréations devaient être très bruyantes et animées (le mot est faible) mais l'ordre revint en même temps qu'une nouvelle institutrice ! On joua alors à la marelle, aux billes, peut-être « à l'épervier » quelquefois, pour revenir à des activités plus calmes dès que le désordre risquait de s'installer! En hiver, des petits trains interminables autour de la cour
La commune n'employait pas de femme de ménage ; les grands s'y collaient, par paire hebdomadaire Les 4 premiers jours, entretien sommaire : époussetage, peut-être un léger coup de balai, remplir les encriers mais le samedi après la classe, grand remue-ménage: il fallait déplacer les tables et que la pièce redevienne impeccable, le tout en silence, car la maîtresse n était jamais loin ! Il fallait aussi préparer l'encre : un peu d'eau au fond de la bouteille, verser délicatement la poudre violette ou rouge contenue dans le tube, remplir et mettre le bouchon percé d'un morceau de plume d'oie sans gaspillage, sans saleté 100 lignes à la clef !

Invariablement, le jour de la rentrée commençait par la distribution des fournitures gratuites : manuels scolaires, cahiers et protège-cahiers (Le Primaire, avec les tables au dos), ardoise en carton bouilli puis en ardoise véritable, cassante et donc source de lignes en punition, crayon et porte-crayon d'ardoise, crayon de papier, gomme, porte-plume, compas jaune en bois quelle fierté et quelle corvée car livres et cahiers devaient revenir couverts dans des délais très brefs.
Les élèves du cours préparatoire commençaient à écrire sur l'ardoise, venait ensuite le cahier à interligne 2mm, puis 3mm ; utilisait-on la réglure Seyes avant le cours élémentaire ? Les gauchers se voyaient obligés d'écrire de la main droite ; on débutait par des alignements de bâtons, le chiffre 1 (bien pointu et non arrondi au sommet), les lettres o, i, t du livre En Riant avec Toto et Titi.

Chaque samedi après-midi, on empruntait les livres de bibliothèque : elle comprenait peu de livres destinés aux enfants, rien pour les petits, les albums du Père Castor n'existaient pas encore mais j'ai dû emprunter une bonne dizaine de fois Sans Famille, En Famille, Les Robinsons de la Somme ou Quatre du cours moyen.

Le matériel scolaire était très limité : on apprenait à compter à l'aide de bûchettes confectionnées par les parents, le boulier était inconnu à Braize...par contre, il y avait de magnifiques cartes de géographie Vidal-Lablache cartonnées et aux couleurs lumineuses : les Chemins de fer, les Colonies françaises, les Canaux également de rares tableaux de sciences plus rébarbatifs.

Je me souviens aussi de l'acquisition du Globe terrestre, avec un axe des pôles vertical qui supprimait ainsi le mécanisme des saisons...un décamètre métallique, un litre en fer blanc, et de quoi réaliser quelques « expériences scientifiques » : l'oxygène qui ranimait la flamme de la bougie !...la pression atmosphérique qui retenait l'eau du verre renversé !...autant d'événements que nous étions fiers de raconter à la maison. Surtout, il y eut l'achat d'un appareil de projection de films fixes ; disons que son arrivée me laisse plus de souvenirs que son utilisation !
Contrairement à la plupart des clichés relatifs à l'école de cette époque, la morale ne faisait pas l'objet de leçons spécifiques, ni de la formule quotidienne écrite au tableau. Mais l'institutrice enseignait une morale pratique : malheur à celui qui oubliait de saluer en levant son béret (même les automobilistes stupéfaits !), il fallait souvent montrer des mains propres en rentrant en classe, et puis copier 100 fois : je dois faire ceci-...je ne dois pas faire cela...Bien sûr, tout manquement entraînait une punition : elles étaient graduées, d'abord les lignes (un oncle se souvient d'être sorti de l'école avec un dû de 5000 lignes !), la page déchirée et accrochée dans le dos, le piquet au coin de la salle ou de la cour, le bonnet d'âne (peu employé)-...mais aussi les gifles, les oreilles ou les cheveux tirés, les coups de règle sur des doigts ...pire encore avec le bassin-lavabo qui recueillait l'eau de pluie (et qu'on aurait dû conserver et inscrire au patrimoine culturel de la Commune ) pour de plus amples détails sur ce châtiment, s'adresser aux survivants, il en reste au moins un !
Crainte, la Maîtresse d'Ecole l'était certainement, respectée aussi par une large majorité (une démocratie nécessite des opposants !) mais redoutée de toute la commune dont elle était aussi la Secrétaire de Mairie. Une anecdote révélatrice : au cours d'un mois de juin particulièrement sec, un propriétaire stoppa l'écoulement de son étang, asséchant ainsi le lavoir communal ; ses enfants furent gardés en retenue à l'école jusqu'à l'arrivée du père coupable qui dut rétablir illico l'alimentation du ruisseau des Mailleries !

Comment pouvait fonctionner une classe unique de 35 élèves ou de 48 deux décennies plus tard ? A l'époque, la base devait sans conteste consister en une discipline rigoureuse à l'excès...nul ne se serait avisé de perturber sa division pendant que l'institutrice était occupée avec...l'autre ou même si elle s'absentait pour quelque tâche domestique. ( mise à part une infime minorité d'irréductibles...voir plus haut...).Pendant la séance de lecture du CP, les grands effectuaient des travaux écrits : opérations, problèmes, analyse, rédaction Inversement, un élève de la classe du certificat pouvait jouer le rôle du répétiteur auprès des petits, alors que la maîtresse expliquait une leçon aux autres...difficile de les laisser se débrouiller seuls. On ne connaissait pas les tâches en équipes, ni l'emploi des fiches individuelles de travail.

Quelques activités dont j'ai gardé un souvenir assez précis : l'apprentissage de la lecture avec Toto, Lili, le gros René, le chat Titi et la vache Mumu qui paissait l'herbe sur le toit de la maison. La Cérémonie de la dictée : caché par un rideau tendu à partir d'un angle de la bibliothèque, l'élève cobaye du jour écrivait au tableau noir pendant que ses camarades s'appliquaient sur leur cahier ; on corrigeait ensemble après avoir changé d'encrier, le rouge pour signaler les fautes...puis on copiait une ligne du mot mal'orthographié ; zéro faute au tableau, notait le cobaye sur son cahier qu'est-ce qu'on était forts en orthographe, après ces dictées quotidiennes ! Le samedi, c'était la rédaction, avec son sujet imposé qui revenait au rythme des saisons : « Votre papa vous a donné un coin de jardin...Racontez »...j'avais écrit « coing » ...que dire de ce fruit ingrat, tout au long de la page, minimum imposé ? Des analyses logiques, grammaticales, des conjugaisons à tous les modes et à tous les temps et à pleines ardoises ; l'étonnant, c'est que la maîtresse pouvait contrôler tout ça...et en détail ! Arithmétique, géométrie, des opérations avec des nombres impossibles et 5 chiffres après la virgule...bien sûr, on a eu droit aux problèmes de robinets qui fuient et des trains qui se poursuivent ; le plus tordu concernait un fichu terrain avec des allées autour et d'autres en croix, le jardinier poussant le vice jusqu'à ne pas les tracer à la même largeur...surface des parcelles restantes ?...pire encore si ces allées se transformaient en fossés de profondeurs diverses dont on répartissait la terre sur le jardin allez donc calculer son volume et l'augmentation d'épaisseur due à cette couche de terre !...et les piquets de la clôture, plus un ou moins un avec les intervalles, et qui devenaient ni plus ni moins si on s'avisait de fermer la clôture 

Tracer des cartes à main levée : les côtes, le relief, les fleuves et leurs affluents on devait savoir les reproduire par coeur, sans même l'aide de la carte muette. La leçon d'histoire consistait en une lecture expliquée du texte de notre manuel, donnant lieu à un résumé copieux et des dates à ajouter sur un carnet déjà bien garni ; parfois on commentait aussi quelque image du livre, telle cette caravelle qui nous entraînait vers les Grandes découvertes, ou la carte des conquêtes de Louis XIV et des guerres napoléoniennes. Croquis et résumés de sciences : fémur, tibia, péroné, rotule n'avaient plus de secrets pour nous. On lisait tous les matins à voix haute, chacun à tour de rôle...le texte pouvait ainsi se répéter 3 ou 4 fois. La poésie s'appelait récitation ; on chantait très souvent...et très classique : En passant par la Lorraine, Gentil coquelicot, Trois jeunes tambours et La Marseillaise devait être sue par coeur pour le « Certif », même le couplet « Liberté, liberté chérie, conduis, soutiens nos bras vengeurs  ... » nos dessins restaient aussi très traditionnels et se répétaient d'année en année : j'ai colorié très souvent les feuilles d'automne, le bouquet de houx ou les oranges du nouvel an... Mais je sais gré à notre institutrice d'avoir su nous faire découvrir notre commune au cours de ses classes-promenades commentées (et harassantes !) qui nous ont conduits aussi bien à La Goutte qu'aux Etangs Roux ou à Thizais, sans oublier mon « Allée des Templiers » dont je cherche toujours le secret.
Nos livres ne comportaient pas de belles illustrations en couleurs, mis à part celui de géographie, mais j'aimais bien les petites images en noir et blanc et les suggestions de dessins ou de frises destinés à embellir nos cahiers. Pour débuter, En Riant, la Lecture sans larmes  et ses 3 livrets d'apprentissage que je détiens toujours, Jeannot et Jeannette, Line et Pierrot étaient nos premiers livres de lecture courante, avec les mots toujours fractionnés en syllabes dans les premières pages et qui déroutent aujourd'hui nos petites filles ! On revient à la morale pour dire que nombre d'épisodes compensaient la fameuse maxime du jour : « Le travail avant le jeu » montrait une Line appliquée à ses devoirs du soir, alors que ses camarades jouaient bruyamment sous sa fenêtre ! On devait aussi calculer gaiement avec L'Arithmétique en riant au cours élémentaire du même M. Jolly, sur lequel j'ai vérifié que le diviseur à 2 chiffres venait en fin de CE2. Arithmétique tout court de Delfaud et Millet au cours moyen et supérieur et ses problèmes tordus. Le plus beau de tous et 2 fois plus grand, la Géographie de Jean Bruhnes dont les cartes détaillées et les images en couleurs nous faisaient voyager en imagination: à Braize en 1936, on ne rêvait pas de destinations lointaines ! Une Histoire toute noire et d'allure rébarbative de Lavisse dont je connaissais presque par coeur toutes les pages (il faut dire que je l'ai détenue 3 ans), pages qui restent encore la base du peu que je sais en cette matière. Une couverture vert-fluo pour le livre de Sciences par l'Observation et l'Expérience de G.Laurent abordant tant de sujets passionnants qu'on en oubliait la présentation austère : le monde physique et ses expériences décrites, l'homme, les animaux, les végétaux, les sols et les roches

Il y avait surtout le manuel que l'on utilisait en permanence, plusieurs fois par jour et plusieurs années de suite : Le Livre unique de Français, on disait « Le Dumas », du nom de son auteur; la maîtresse y puisait à tout va: trois lectures sur le même thème (ex : la cuisine) page grammaire, orthographe et dictée préparée...conjugaison et exercices...récitation...Vocabulaire et composition française le tout avec de jolies illustrations en noir et blanc que l'on reproduisait à loisir...j'en oublie sans doute 

En cette fin d'année scolaire 2008, on évoque « le poids des cartables » : le nôtre n'avait rien d'exagéré, me semble-t-il, sauf à transporter tout le matériel de la case celui des garçons était « à bandoulière », telle la sacoche du facteur, pour les filles, une poignée Et j'étais très fier du couvercle de mon plumier, décoré d'oiseaux multicolores, et sans doute transmis de père en fils...ou d'oncle Roger à neveu ?
Si Papy devait résumer son école à Braize en 3 mots, il dirait discipline, devoirs, leçons mais il se garderait bien de se hasarder à des comparaisons ! « Mme L. obtenait des résultats, me fait-on remarquer » si on « allait au certificat », on était reçu combien n y allaient pas ? Certes, la tête de Papy était bourrée de recettes : celle des allées qui se croisent, celle du « mais ou et donc or ni car »...et tant d'autres...une de mes petites filles me ferait sans doute remarquer que la commune compte peu de chercheurs célèbres !

... et pour en terminer avec les problèmes disciplinaires : en 8 ans de scolarité braizoise, on m'a infligé un reproche pour « chanter trop fort » au cours de nos répétitions pour le Certificat et 200 lignes pour « s être amusés avec ma collègue de travail, pendant le ménage du samedi soir », tâche bénévole réalisée en dehors du temps scolaire !...un directeur d'école voisin avait, lui, la réputation de jeter les « fortes têtes » par la fenêtre !

C'est cette Maîtresse d'école qui obligea pratiquement mes parents « à me faire poursuivre mes études », décision fort improbable à l'époque, surtout quand l'intéressé se montrait le plus récalcitrant pour quitter son Beauregard natal...Merci Madame.

Classe unique à Braize 1936-1937


Jean-Jacques